La polémique aura été à la hauteur de l’aberration. Diffusé ce jeudi soir sur France 3, le documentaire “Le village de Bamboula” revient sur ce triste épisode de 1994. Pendant plusieurs mois, le Safari africain va exposer des Ivoiriens à peine payés et maltraités. Le dernier “zoo humain” français.
Le “village ivoirien” au Safari africain de Port-Saint-Père, aujourd’hui renommé Planète Sauvage, aura duré une saison, en 1994. Une saison de trop. Entre avril et septembre, des artisans venus de Côte-d’Ivoire ainsi que des musiciens et chanteurs de la même nationalité vont se donner en spectacle pour “divertir” les visiteurs. Le documentaire “Le village de Bamboula”, diffusé ce jeudi soir sur France 3, revient sur le dernier “zoo humain” en France, en Loire-Atlantique.
“C’était une zone de non-droit”
Le directeur du parc de l’époque, Dany Laurent, avait vu les choses en grand. Dans l’enceinte de son Safari africain, il avait fait construire un village par des ouvriers spécialement venus de Côte-d’Ivoire, à l’hiver 1993. “Ce village, c’est une première sur le sol français et même sur le sol européen, racontait-il à la télévision pendant les travaux. Le but ici est de promouvoir le tourisme en Côte d’Ivoire. En contrepartie, le ministère du Tourisme nous offre des artisans et un groupe pour assurer l’animation toute la saison.”
On retirait à ces gens leur passeport donc leur possibilité de circuler et qui étaient de fait enfermés dans le zoo.
Mais la déclaration de bonnes intentions du directeur du parc ne pèse pas lourd face à la réalité. Artisans, musiciens et danseurs sont entassés dans de petites chambres, leur rémunération est minime et leurs conditions de travail sont aberrantes. “C’était une zone de non droit, témoigne Philippe Gautier, à l’époque représentant de la section locale du SNAM-CGT, un des premiers à avoir dénoncé ce qu’il était en train de se passer à Port-Saint-Père. Les gens, à peu de choses près, n’étaient pas payés et le directeur se prévalait d’une enclave de droit ivoirien au sein du Pays de Retz, ce qui est évidemment une aberration. Mais ça ne semblait pas le gêner.“
Des passeports confisqués et des enfants privés de leur droit d’aller à l’école
Sous le regard amusé des visiteurs, adultes et enfants vont faire vivre le village, en habits traditionnels, toute la semaine. Ces derniers n’ont même pas le droit d’aller à l’école. A la place, ils enchaînent les représentations aux côtés des grands toutes les demi-heures. “C’est quelques chose d’ahurissant, confie François Tchernia, co-réalisateur du documentaire. Ces personnes travaillaient sept jours sur sept avec des rythmes de travail qui n’ont rien à voir avec ceux de la législation française en terme de temps de repos, notamment. On retirait à ces gens leur passeport donc leur possibilité de circuler et qui étaient, de fait, enfermés dans le zoo.”
Rapidement des associations se mobilisent et le collectif “Non à la réserve humaine” voit le jour. “Quand j’ai vu ça, j’ai dit : “mais on est où? On est où?”, lâche Eugénie Bamba, alors présidente de la section nantaise des droits de l’Homme, dans le documentaire. Une fois que les gens avaient fini de voir les animaux, ils se dirigeaient vers l’animation et ils se penchaient pour les regarder. Ça m’a choquée.” Des visiteurs qui, auparavant, étaient passés à côté d’une énorme statue représentant un garçon noir habillé en léopard et une pancarte “Le village de Bamboula” à laquelle était attaché le logo de la biscuiterie Saint-Michel qui commercialisait à cette époque les gâteaux Bamboula.
L’administration française en cause ?
“Ce n’était pas caché, confirme Lassina Coulibaly, membre de la troupe du Djolem qui se produisait au sein du Safari africain, aux deux réalisateurs du documentaire. C’était écrit en gros caractère. Il y a même des gens qui m’ont demandé une fois : il y a un village chez vous qui s’appelle Bamboula ? Je leur disais, “pas à ma connaissance”. Il y avait même des enfants qui disaient : “maman, il y a un Bamboula” ! Mais à aucun moment ça nous a choqués car on ne savait pas ce que ça voulait dire.” Les visiteurs le savaient, eux.
Il y a une administration qui a dit : oui, c’est possible de créer une enclave du droit du travail en appliquant le droit ivoirien sur le sol français.
“Ces spectacles, ces conditions d’exposition humaine nous avaient choqués, comme tout un chacun, assure Philippe Gautier, aujourd’hui secrétaire général de la SNAM-CGT. Ce voyeurisme était à l’intérieur du parc mais il était aussi relayé dans toute la ville et dans les environs avec des encarts publicitaires dans les journaux et des affiches sur des panneaux 4×3.” Un “zoo humain” qui n’aurait apparemment pas dérangé non plus les autorités.
“L’administration française au niveau de la préfecture de Loire-Atlantique, de l’inspection du travail, de la direction départementale des Affaires sanitaires et sociales a permis ça, pointe François Tchernia. Il y a une administration qui a dit : oui, c’est possible de créer une enclave du droit du travail en appliquant le droit ivoirien sur le sol français ce qui est une aberration totale.” Il faudra attendre le mois de septembre 1994 pour qu’elle prenne définitivement fin. Quant à la Justice, elle mettra trois ans de plus à condamner le Safari africain. C’est sur cette histoire honteuse que se penche le documentaire. La dernière du genre en France.
Florian Cazzola France Bleu Loire Océan