À Montpellier, des mineurs isolés condamnés à tort à de la prison ferme
Par Leslie Carretero Publié le : 05/01/2022
Depuis 2016, une quarantaine de mineurs isolés, accusés d’avoir menti sur leur âge, ont été condamnés à des peines de plusieurs mois de prison ferme par un tribunal de Montpellier, dans le sud de la France. Des incarcérations jugées scandaleuses et démesurées par la Cimade, alors que la plupart de ces jeunes ont ensuite pu prouver leur minorité.
Ils pensaient venir étudier en France pour se former à un métier. Ils étaient loin d’imaginer qu’ils passeraient par la case prison. Depuis 2016, plusieurs mineurs isolés étrangers ont été incarcérés à Montpellier, dans le sud de la France, pour détention de faux documents administratifs et escroquerie au préjudice du conseil départemental de l’Hérault. La justice leur a reproché d’avoir menti sur leur âge. Selon la Cimade, ils seraient une quarantaine à avoir connu le même sort.
À leur arrivée en France, ces jeunes se sont présentés à l’Aide sociale à l’enfance (ASE) de Montpellier en tant que mineurs. En attendant leur prise en charge définitive, ils ont été mis à l’abri. Durant cette période de transition, une enquête a conclu que les documents d’identité présentés par ces mineurs étaient des faux.
“J’ai été traité comme un criminel”
“Dans certains pays d’Afrique, les papiers d’identité n’ont pas les mêmes normes qu’en France. Très souvent, la police aux frontières (PAF) estime alors que ces documents sont des faux”, explique à InfoMigrants Thierry Lerch, co-président de la Cimade de Montpellier. Des tests osseux pratiqués sur les jeunes ont validé la décision de la PAF et confirmé qu’ils étaient majeurs. Ces examens médicaux sont controversés car la marge d’erreur de plusieurs années ne permet pas un résultat fiable et précis.
Selon le média en ligne StreetPress, qui a publié une enquête sur le sujet en novembre dernier, certains jeunes ont également subi des examens pubertaires au CHU de Montpellier. “Les enfants devaient se mettre nus devant les médecins, qui vérifiaient la dentition mais aussi les seins des filles et les testicules des garçons”, racontent les journalistes. Cette pratique, pourtant illégale depuis 2016, a pris fin en 2020, suite à l’action du Défenseur des droits.
Mon premier jour, j’ai passé toute la nuit à pleurer
Jugés majeurs par l’administration lors de comparution immédiate, ces jeunes ont écopé de peines de prison, pour la plupart allant de trois à quatre mois. “On a vu des condamnations qui pouvaient aller jusqu’à 12 mois”, rapporte Thierry Lerch.
“J’ai été traité comme un criminel. J’étais dans la même cellule que des personnes qui, elles, avaient vraiment commis des infractions”, explique un Ivoirien, condamné à trois mois de prison en 2016 et interrogé en décembre dernier par France Bleu Hérault.
Le passage en prison pour ces jeunes a accentué le traumatisme subi sur la route de l’exil, notamment dans les geôles libyennes. Incarcéré à Montpellier, Kouadio explique à StreetPress avoir fait des crises, liées à son expérience en Libye. “Je n’arrivais pas à bouger, je perdais connaissance”, dit-il. Un autre jeune affirme qu’il ne pourra “jamais oublier [son incarcération]. Mon premier jour, j’ai passé toute la nuit à pleurer”, se souvient l’Ivoirien.
“Justice coloniale”
En plus de la détention, les jeunes se sont vus infliger une amende, représentant les sommes engagées par l’État pour leur prise en charge – le département s’étant porté partie civile dans ces affaires. Des sommes parfois astronomiques. Comme le signale StreetPress, “la prise en charge éducative est estimée à 284 euros par jour et l’hébergement à 56 euros”. Un jeune s’est ainsi vu réclamé 99 000 euros par le département, assure Thierry Lech, qui précise que grâce aux pressions des associations, le département de l’Hérault ne se porte plus partie civile depuis deux ans.
Des condamnations jugées scandaleuses et disproportionnées par la Cimade. “Quand il y a un doute sur la minorité, le doute doit prévaloir. Le tribunal de Montpellier ne respecte pas la loi et pratique une justice coloniale”, accuse Thierry Lerch. “L’Africain est condamné car il est africain, estime-t-il. Même si la personne a menti, est-ce que cela mérite une peine de prison. Quel est le crime à vouloir aller à l’école en France ?”
D’autant que la plupart des jeunes condamnés par la justice dans l’Hérault ont finalement pu prouver leur minorité à leur sortie de prison, avec l’aide des associations. Ces dernières les ont ensuite faits héberger et scolariser dans des écoles de la région. Certains mineurs ont même réussi à être pris en charge par l’ASE, après être repassés devant les tribunaux, indique la Cimade.
Beaucoup de ces condamnés à tort ont déposé un dossier à la cour de cassation afin de faire annuler le jugement et obtenir des dédommagements. Car avec cette incarcération assortie d’une Obligation de quitter le territoire français (OQTF), l’obtention d’un titre de séjour s’avère compliqué, voire impossible.