Captées essentiellement durant la période coloniale, la quasi-totalité des œuvres de l’art africain classique se trouvent aujourd’hui hors d’Afrique. À l’inaliénabilité des collections avancée par les pouvoirs publics, s’opposent désormais des réponses législatives qui cherchent à quitter le terrain symbolique de l’exception pour des restitutions massives, dans quelques pays européens.
Le 28 novembre 2017, le nouveau président de la République française Emmanuel Macron émet le souhait dans un discours à l’Université de Ouagadougou que « d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique ». Ses propos font suite au discours tenu à Alger en février de la même année, où, candidat aux élections, il a qualifié la colonisation de « Crime contre l’humanité ».
En mars 2018, l’économiste Felwine Sarr de l’Université de Saint-Louis au Sénégal et l’historienne de l’art Bénédicte Savoy de l’Université technique de Berlin et du Collège de France se voient confier la rédaction d’un rapport officiellement remis huit mois plus tard, en novembre. Il est centré sur une zone majeure de l’ancien Empire français : l’Afrique subsaharienne.
En France, le rapport Savoy-Sarr réitère l’urgence des restitutions
« Il tient compte, précisent autrice et auteur, de l’Histoire et des responsabilités particulières de la France dans cette région du monde (tutelle et exploitation coloniale, décolonisations ratées, politiques patrimoniales centralisatrices), bien différentes de celles de la Grande-Bretagne, de la Belgique, de l’Allemagne ou de l’Italie. »
« Il est difficile de chiffrer précisément la dépossession, rappelle Nora Philippe dans son documentaire Restituer ? L’Afrique en quête de ses chefs-d’œuvre (Arte, 2021), mais personne ne conteste que la quasi-totalité du patrimoine ancien de l’Afrique (…) se trouve très majoritairement en Europe. »
Une première restitution symbolique est celle du sabre dit d’El Hadj Oumar Tall, d’abord prêté au Musée des civilisations noires de Dakar en 2018. L’année suivante, une cérémonie officielle en présence du Premier ministre Édouard Philippe transforme le prêt en promesse de restitution, laquelle est validée en décembre 2020 par une loi votée au Parlement. Cette dernière prévoit aussi la restitution de 26 œuvres du Bénin, qui font partie des pillages orchestrés par le général Dodds lors de la seconde guerre du Dahomey en 1892. Elles avaient ensuite rejoint les collections publiques du Musée d’ethnographie du Trocadéro, puis celles du Musée de l’Homme et enfin du Musée du Quai-Branly Jacques-Chirac en 2003.
La nécessité d’une loi-cadre
Lors de la cérémonie officielle des restitutions vers le Bénin, le 27 octobre 2021, Emmanuel Macron fait part de son désir d’aller vers une loi-cadre afin de ne plus légiférer au cas par cas. Deux semaines plus tôt encore, il a annoncé le retour en Côte d’Ivoire du tambour parleur du peuple atchan. Le 15 décembre, le Sénat présente une proposition de loi, visant à ce que ces restitutions ne soient plus désormais du seul ressort de l’Élysée, autrement dit soumises aux aléas et aux intérêts du pouvoir exécutif et perçues à juste titre comme le « fait du Prince ». « Cette initiative du Sénat a pu être mal interprétée », explique Nora Philippe « car son objet n’est pas de s’opposer aux restitutions, mais d’en assurer une gestion plus éthique ».
Les œuvres détenues dans les collections nationales sont en effet protégées par le principe d’inaliénabilité, ce qui nécessite, en l’absence d’un nouveau cadre juridique, de voter au cas par cas pour créer des exceptions. Comme on l’a vu précédemment, la restitution en bonne et due forme a parfois été changée en un simple prêt renouvelable, pour assurer par exemple dans une totale improvisation la signature d’un contrat de TGV avec la Corée, comme ce fut le cas en 1993 avec le président François Mitterrand. Ce pis-aller a été aussi privilégié pour la restitution en 2020 d’une pièce ornementale du trône de la Reine Ranavalona III à Madagascar, cette fois dans l’attente d’une loi spécifique.
À celle des objets d’art, s’ajoute la question des « restes humains » qui pour être restitués, doivent, eux aussi, faire l’objet d’une demande officielle puis d’une déclassification, comme cela a été le cas pour la dépouille de Saartjie Baartman, dite la Vénus hottentote, en 2002. Le subterfuge du prêt quinquennal a été poussé jusqu’à l’absurde en juillet 2020 quand les crânes de 24 combattants algériens contre la colonisation française ont été renvoyés vers l’Algérie, où ils ont été aussitôt inhumés dans le carré des martyrs du cimetière d’El Alia, où repose la dépouille de l’Émir Abdelkader.
La Belgique et l’Allemagne vont au-delà du symbolique
Ailleurs en Europe, les réponses s’opèrent à différents niveaux, sans volonté commune. En 2005, l’Italie s’est livrée à la spectaculaire et symbolique restitution de l’obélisque d’Axoum, volée en 1937 par le régime fasciste. Cet événement n’a pourtant pas donné lieu à un questionnement plus global, pas plus qu’au Vatican, qui détient pourtant parmi les collections ethnographiques les plus riches au monde et où aucune restitution n’a été jusqu’ici évoquée.
En Belgique, le début de l’année 2022 verra le dépôt d’un projet de loi en vue d’une déclassification massive, qui pourrait concerner jusqu’à 40 000 pièces. Pour le député Wouter de Vriendt, « la Belgique est le premier pays dans le monde qui se lance dans un tel exercice avec cette ampleur. » En Grande-Bretagne, la frilosité du British Museum concernant la restitution des quelque 900 bronzes du Bénin encore en sa possession contraste avec les gestes proposés par les Universités d’Aberdeen ou de Cambridge. Si Londres ne fait rien, l’Allemagne sera le premier pays à restituer les biens pillés par les Britanniques lors de la destruction de Benin City en 1897, dont un millier de pièces sont arrivés dans les musées allemands par le marché de l’art.
Bien entendu, la question des restitutions s’est posée et se pose hors du cadre des conquêtes coloniales. En 2020, Bénédicte Savoy a d’ailleurs consacré une série de leçons au Collège de France intitulée 1815 : année zéro. L’Europe à l’heure des restitutions d’œuvres d’art, où elle s’interroge sur le destin des biens spoliés durant les guerres de la Révolution et de l’Empire.
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