Le quotidien a eu accès à 1 300 rapports du Pentagone qui montrent de nombreuses défaillances dans le renseignement et les exécutions de missions de drones en Afghanistan, Irak et Syrie, sans qu’une faute ou sanction ne soit prononcée.
Le New York Times a publié, samedi 18 décembre, une enquête choc qui met à mal l’image d’une guerre « propre » menée à coups de « frappes de précision » présentée régulièrement par l’armée américaine dans sa lutte contre les groupes djihadistes en Afghanistan, Irak et Syrie.
« La guerre aérienne américaine a été marquée par des renseignements défaillants, des tirs de missiles hâtifs et imprécis, et la mort de milliers de civils, dont de nombreux enfants », conclut le journal dans cette enquête basée sur 1 300 rapports du Pentagone sur des incidents, obtenus par le quotidien américain dans le cadre de la loi sur la transparence dans les administrations (FOIA). « Pas un seul rapport ne conclut à une faute ou une sanction disciplinaire », est-il précisé.
Les promesses de transparence de l’époque de Barack Obama, qui a été le premier président américain à privilégier les frappes de drones pour épargner les vies de soldats américains, ont été remplacées par « l’opacité et l’impunité », ajoute le quotidien qui a dû intenter plusieurs procès au Pentagone et au commandement central de l’armée américaine (Centcom) pour obtenir ces documents.
En cinq ans, l’armée américaine a mené plus de 50 000 frappes aériennes en Afghanistan, Syrie et Irak. Elle a admis avoir accidentellement tué 1 417 civils dans des frappes aériennes en Syrie et Irak depuis 2014. En Afghanistan, le chiffre officiel est de 188 civils tués depuis 2018.
Un nombre de victimes civiles sous-estimé
Pour cette enquête menée sur plusieurs mois, le New York Times a analysé les documents obtenus et a enquêté sur le terrain, vérifiant les informations officielles sur plus de 100 sites bombardés. Plusieurs des cas mentionnés étaient déjà connus, mais l’enquête montre que le nombre de victimes civiles admises par le Pentagone est « nettement sous-estimé ». Les documents montrent que les morts de civils étaient souvent dues à un « biais de confirmation », la tendance à tirer des conclusions conformes à ce que l’on pense probable, selon le New York Times.
Des gens courant vers un site bombardé étaient vus comme des combattants du groupe Etat islamique, et non des secouristes. De simples motards étaient considérés comme se déplaçant « en formation », ce qui était interprété comme la « signature » d’une attaque imminente.
Selon les documents du Pentagone, les erreurs d’identification ne représentaient que 4 % des cas de victimes civiles. Mais l’enquête menée sur le terrain par le Times montre qu’elles ont joué rôle dans 17 % des incidents, et surtout qu’elles ont causé près d’un tiers des morts et des blessés civils.
Des facteurs culturels ont aussi pesé. Les militaires américains ont ainsi jugé qu’il n’y avait « pas de présence de civils » dans une maison qu’ils surveillaient un jour de Ramadan, alors que plusieurs familles y dormaient pendant la journée, période de jeûne, s’abritant de la chaleur.
« Nous regrettons chaque perte de vie innocente »
Des images de mauvaise qualité, ou des surveillances d’une durée insuffisante ont souvent contribué à des frappes meurtrières. Elles ont aussi freiné les tentatives d’enquêtes. Sur les 1 311 cas examinés par le New York Times, seuls 216 avaient été jugés « crédibles » par l’armée américaine. Des informations faisant état de victimes civiles étaient rejetées parce que les vidéos ne montraient pas de corps dans les décombres ou parce que leur durée était insuffisante pour tirer des conclusions.
Cité par le New York Times, le porte-parole du Centcom, le commandant Bill Urban, a noté que « même avec la meilleure technologie du monde, des erreurs se produisent, qu’elles soient dues à des informations erronées ou à une mauvaise interprétation des informations disponibles ».
« Nous faisons tout pour éviter de faire du tort. Nous enquêtons sur tous les cas crédibles. Et nous regrettons chaque perte de vie innocente », a-t-il affirmé. Pour le journal, « ce qui émerge en fin de compte de plus de 5 400 pages de documents, c’est une institution acceptant que des dommages collatéraux soient inévitables ».