Weronika Zarachowicz
Publié le 16/12/21
Estime de soi, capitalisme, pédagogie, mais aussi féminisme, racisme ou amour, bell hooks a écrit sur de nombreux sujets. Décédée mercredi 15 décembre, à l’âge de 69 ans, l’autrice et activiste laisse derrière elle une œuvre singulière et sensible, pionnière et radicale.
Elle s’appelait Gloria Jean Watkins et avait choisi comme nom de plume bell hooks, en hommage à son arrière grand-mère maternelle, Bell Blair Hooks, mais avec un « b » et un « h » en lettres minuscules, pour mieux attirer l’attention, expliquait-elle, sur ses idées et non sur son identité (« the substance of my work and not who I am »).
Mission accomplie : morte à 69 ans, cette autrice, professeure, activiste laisse derrière elle une œuvre singulière et sensible, pionnière et radicale, qui aura fait d’elle une figure majeure et infiniment attachante de la scène afro-féministe états-unienne. En une quarantaine d’ouvrages – essais, poèmes, livres pour enfants… –, elle aura écrit sur la pédagogie, la culture populaire, la restauration de l’estime de soi ou le capitalisme. Mais d’abord et avant tout sur le féminisme, le racisme et l’amour.
Une référence
Née le 25 septembre 1952 à Hopkinsville, Kentucky, dans le sud-est des États-Unis, bell hooks a été marquée, dès l’enfance, par les lois de ségrégation raciale. À 19 ans tout juste, jeune étudiante en women’s studies à l’université de Stanford, en Californie, elle enrage en découvrant le manque criant de voix noires féminines, de même que l’absence des questions raciales et décide d’y consacrer son premier essai. Ain’t I a Woman ? Black Women and Feminism, publié aux États-Unis en 1981 (il faudra attendre 2015 pour en découvrir la traduction française, Ne suis-je pas une femme ?, aux éditions Cambourakis), devient vite l’un des textes de référence du féminisme noir américain, aux côtés d’autres voix percutantes du Black feminism, telles Audre Lorde, Barbara Smith ou Angela Davis. En 1992, l’essai figure dans la liste des vingt livres de femmes incontournables du Publishers Weekly. “Aucun autre groupe n’a eu à se construire à travers une identité non existante, comme ce fut le cas pour les femmes noires.” bell hooks
Avant-gardiste, elle souligne déjà, quelques années avant que le terme d’ « intersectionnalité » ne soit proposé par la juriste Kimberlé Williams Crenshaw, « l’interconnexion de l’oppression de sexe, de classe et de race », qui restera au cœur de son travail, ouvrage après ouvrage, de La Volonté de changer : les hommes, la masculinité et l’amour à De la marge au centre : théorie féministe, ou encore Tout le monde peut être féministe. Elle n’a de cesse de mettre en lumière l’effacement, l’étouffement d’une identité féminine noire aux États-Unis – « aucun autre groupe n’a eu à se construire à travers une identité non existante, comme ce fut le cas pour les femmes noires ».
Introspection individuelle
Mais aussi les points aveugles des mouvements féministes, focalisés sur la figure de la femme blanche bourgeoise, qui auront contribué à effacer et dévaloriser les destins et les existences des femmes (notamment noires) confrontées au racisme, aux difficultés économiques et sociales. De sa plume subtile et sensible, à la fois intimiste et politique, elle redonne aussi sa place aux corps et aux émotions. Et insiste sur l’introspection individuelle et la transformation de soi, l’estime et l’amour de soi et de sa propre puissance d’agir, exigences « inséparables des combats collectifs ».
Voilà bien, aussi, toute la puissance de la pensée de bell hooks : une « éthique de l’amour » qui invite chacune (et chacun !) à se libérer de « l’ennemi intérieur » pour questionner, ensemble, les fondements de la domination.