Un collectif dénonce l’instrumentalisation de la justice par le pouvoir marocain pour museler la presse et toute voix dissidente.
Publié aujourd’hui à 18h30 Temps de Lecture 4 min.
Tribune. Le 9 juillet, la chambre criminelle près la cour d’appel de Casablanca condamnait à cinq ans de prison ferme le journaliste marocain Soulaimane Raissouni, sans sa présence ni celle de ses avocats. Le 19 juillet, la même chambre criminelle condamnait le journaliste marocain Omar Radi à six ans de prison ferme.
Arrêtés respectivement en mai et en juillet 2020, ces deux journalistes croupissent derrière les barreaux depuis maintenant plus de quinze mois dans des conditions d’isolement total, que rien ne justifie, qui rendent leur emprisonnement particulièrement dur et inhumain. Et ce, alors qu‘ils nient en bloc l’empilement d’accusations portées contre eux (délits sexuels, espionnage, atteinte à la sûreté de l’Etat) et que leurs dossiers ne semblent apporter aucune preuve de la matérialité des faits qui leur sont reprochés.
L’historien et journaliste Maâti Monjib, condamné pour sa part à un an de prison ferme, a été mis en liberté provisoire après une grève de la faim et une forte mobilisation en sa faveur sur le plan national et international. Mais, au harcèlement policier et judiciaire dont il est l’objet depuis des années, s’ajoute maintenant un acharnement administratif qui le prive de toute ressource et l’empêche arbitrairement de voyager pour rejoindre sa famille et se faire soigner par ses médecins traitants résidant en France.
Leurs procès en première instance ont été entachés de multiples irrégularités et atteintes aux droits de la défense, dûment dénoncées en leur temps par leurs avocats.
Vie démocratique saine
Début décembre, leurs procès en appel ont commencé. Allons-nous assister encore une fois à une parodie de justice ? Les conditions et les règles de procès équitables seront-elles respectées ? Maâti Monjib, Omar Radi et Soulaimane Raissouni auront-ils la possibilité, comme ils le souhaitent, de se défendre et d’apporter les preuves de leur innocence ? Pourront-ils faire comparaître leurs témoins, sans que ceux-ci fassent l’objet à leur tour de poursuites, comme cela a été le cas du journaliste Imad Stitouqui de témoin [à décharge, dans le procès d’Omar Radi] est devenu accusé et a été condamné à un an de prison, dont six mois avec sursis ? Pourront-ils obtenir la prise en compte des documents en leur possession qui les disculpent des charges portées contre eux ?
Une première mesure de bonne volonté et de rupture, par rapport à l’acharnement politique, judiciaire et pénitentiaire dont ils sont l’objet, serait déjà de faire comparaître Omar Radi et Soulaimane Raissouni en liberté provisoire, comme cela est déjà le cas pour Maâti Monjib, rien ne justifiant leur maintien en détention, dans des conditions mettant gravement en danger leur santé physique et mentale, déjà affaiblie. C’est le cas surtout pour Soulaimane Raissouni qui avait mené une grève de la faim de quatre mois.
La place des journalistes n’est pas en prison. Leur droit à la liberté d’expression n’est pas seulement un droit individuel, mais la condition même de l’exercice de leur profession et de la concrétisation du droit à une information plurielle et critique de l’ensemble des citoyens. Ils ne sont évidemment pas au-dessus des lois, mais cela n’autorise pas pour autant l’instrumentalisation du système judiciaire par l’appareil sécuritaire pour faire taire les voix encore libres et indépendantes qui osent s’exprimer dans le pays.
Les autorités marocaines n’hésitent pas non plus à étendre leur harcèlement à la presse internationale, et sont soupçonnées d’avoir espionné, par l’intermédiaire du logiciel espion Pegasus, plusieurs journalistes français, une trentaine apparemment, appartenant à des rédactions aussi variées que Le Monde, Le Canard enchaîné, Le Figaro ou encore l’AFP et France Télévisions. Et en réponse aux explications précises apportées par le consortium mis en place par l’ONG Forbidden Stories, elles n’hésitent pas à intenter des procès d’un autre âge contre Le Monde, Radio France, Mediapart, L’Humanité et certains de leurs journalistes.
Le Maroc sortirait grandi en respectant la liberté et la pluralité de la presse, conditions sine qua non d’une vie démocratique saine. Cela passe par l’arrêt des poursuites contre les journalistes, du harcèlement qu’ils subissent, et par la libération de Soulaimane Raissouni, d’Omar Radi et de tous les journalistes emprisonnés au Maroc.
SIGNATAIRES Paul Alliès, professeur émérite à la Faculté des sciences politiques de Montpellier ; Mounia Bennani-Chraïbi, professeure à l’Institut d’études politiques de l’Université de Lausanne ; Alima Boumediene, avocate, ancienne sénatrice et députée européenne ; David Cormand, député européen EELV ; Ignace Dalle, journaliste, membre du conseil d’administration de la Maison des journalistes ; Jean-Philippe Domecq, président du Comité des auteurs en danger du PEN Club français ; Kamel Labidi, journaliste indépendant tunisien, président l’Instance nationale pour la réforme de l’information et de la communication (INRIC) ; Olivier Le Cour Grandmaison, politologue, historien, universitaire ; Gilles Manceron, historien ; Gilles Perrault, écrivain ; Stéfanie Prezioso, conseillère nationale et députée du Parlement national à Berne, Ensemble à Gauche Genève ; Antoine Spire, président du PEN-Club français ; Marie-Christine Vergiat, ancienne députée européenne.