Par Bastien Souperbie – b.souperbie@sudouest.fr
Publié le 02/12/2021 à 16h48
Mis à jour le 03/12/2021 à 10h11
Le bureau central des rapatriés basé à Agen, pôle d’expertise de la question harkie, devrait fermer ses portes en 2022. Une mesure dont le calendrier interpelle.
L’année 2022 coïncide avec les 60 ans de la fin de guerre d’Algérie et l’ouverture d’une plaie qui, à ce jour, n’a pas cicatrisé. La question harkie y est pour beaucoup. Étrangement, le Bureau central des rapatriés (BCR), basé à Agen, ne devrait pas survivre à ce triste anniversaire. Ceci alors que la question relative aux supplétifs de l’Armée française, dont le bureau est un pôle d’expertise depuis quarante ans, est loin d’être réglée.
Sur place, la décision de transférer ce qu’il restera de ce bureau, qui a compté jusqu’à 40 fonctionnaires – ils seront neuf à la fin de l’année, quatre en 2022 contre 20 il y a trois ans –, au sein de l’Onac (office national des anciens combattants) ne passe pas. Le dernier chef du BCR, Yann Le Troquer, un spécialiste du monde arabe, a fait ses cartons le lundi 29 novembre avant de partir en congés. D’aucuns diront qu’il a claqué la porte. Devoir de réserve oblige, l’intéressé ne confirme pas mais scelle le sort du BCR : « Le Bureau central des rapatriés avait été désigné, en 2013, pôle spécialisé. C’est cette spécialisation, ce service qui travaillait depuis quarante ans à Agen sur toutes les mesures au bénéfice des rapatriés qui va disparaître. Je ne peux que rendre hommage aux agents qui ont fait un travail formidable, à Agen et à Périgueux, dont le site a accueilli jusqu’à 7 km d’archives ».
Passer à autre chose ?
Alors que soixante ans après les accords d’Évian, la question des harkis n’est toujours pas soldée, faut-il voir dans cette suppression qui ne dit pas son nom une absurdité dont l’administration a le secret, ou la volonté politique de passer à autre chose, d’en finir avec la repentance, quelques mois après que le président de la République Emmanuel Macron a demandé pardon aux harkis ? La question reste en suspens.
Tout comme celle du sort des dossiers que traitaient jusque-là les spécialistes agenais et qui seront dispersés dans les services départementaux de l’Onac. Car des dossiers en cours, il y en a encore beaucoup. En trois ans, depuis l’adoption en 2018 d’une mesure d’aide (qui peut aller de 500 à 10 000 euros) au bénéfice des enfants ayant séjourné plus de quatre-vingt-dix jours dans les hameaux de forestage et camps d’accueil des harkis, le BCR a traité 6 000 demandes de certificats de présence quand la ministre chargée des Anciens combattants, Geneviève Darrieussecq, annonçait en septembre que l’Onac en avait traité 1 800 dans le même temps… « La fin de cette mesure au 31 décembre 2022 et l’attente de nouvelles mesures initiées par la Loi de reconnaissance ont eu pour conséquence de faire exploser de nouvelles demandes. Actuellement, le BCR reçoit près de 150 demandes par semaine », note Yann Le Troquer.
Pour rappel, ce sont un million de personnes, pour l’essentiel des pieds noirs, qui quitteront l’ancien département français pour s’établir en territoire métropolitain avant même la fin du conflit. Parmi elles, près de 90 000 individus que l’administration française désignera sous l’acronyme FMR pour Français musulmans rapatriés, soit les supplétifs locaux de l’armée et de l’administration française, et leurs familles, qui auront échappé aux massacres du FLN. Ils seront 41 000 à passer par les hameaux et des camps d’hébergement, dont celui de Bias, en Lot-et-Garonne, qui va accueillir sur le long terme les « incasables ».
Dispersion d’une mémoire ?
Devant la nécessité de venir au secours du million de rapatriés, la loi Boulin de 1961 ouvre un certain nombre de mesures. Puis en 1962, une délégation du secrétariat d’État chargé des Rapatriés est créée à Bordeaux, laquelle sera absorbée par le Service central aux rapatriés (qui deviendra le BCR) fondé à Agen en 1981 à l’initiative du ministre Jean François-Poncet. Dès lors, c’est ce service qui a la charge de gérer notamment les droits spécifiques consentis aux harkis à partir des émeutes des camps en 1975, dont l’épicentre fut Bias. Mesures de secours aux rapatriés de la première génération, sauvegarde du toit familial (l’État peut, sous certaines conditions, effacer les dettes afin de garder sa maison), allocations de reconnaissance, allocations viagères pour les veuves et rachat des retraites (qui dépasse le cadre algérien).
On va disperser notre mémoire et nos archives, lesquelles n’ont pas toujours été bien conservées.
Un domaine donc très technique pour lequel le BCR affichait des compétences reconnues selon les associations de harkis. « On est très surpris et opposés à cette suppression, indique Boaza Gasmi, président du comité national de liaison des harkis. La qualité des agents du BCR permet de répondre aux demandes dans des délais raisonnables. On va disperser notre mémoire et nos archives, lesquelles n’ont pas toujours été bien conservées. C’est encore une façon de cacher l’histoire des harkis. »