Par Charlotte Boitiaux Publié le : 26/11/2021 Dernière modification : 27/11/2021
Ils s’appellent Amadou, Adama ou encore Alassane. Ils n’ont pas 18 ans et sont venus en France dans l’espoir d’une vie meilleure. Mais après le rejet de leur minorité par l’État, ils n’ont bénéficié d’aucune prise en charge. Depuis deux mois voire plus, ils vivent dans un tunnel, sous le périphérique parisien, dans des conditions insupportables.
Amadou bouge sans cesse. Le froid, dit-il. Il remue pour que son corps ne s’engourdisse pas. Assis sur une chaise de bureau à quelques mètres de sa tente Quechua, le jeune garçon de 16 ans n’a qu’un souhait : être reconnu mineur. “Je suis Ivoirien, je suis né le 27 janvier 2005”, dit-il d’emblée comme pour nous convaincre de son âge. “L’État français pense que je mens…Enfin, je sais pas ce qu’il pense… Ils veulent pas me croire…”, continue-t-il. “J’ai bien 16 ans, je vous promets”.
Amadou, comme la centaine de jeunes qui vivent dans ce campement, appelé “le tunnel”, installé sous le périphérique parisien, n’a pas réussi à faire reconnaître sa minorité. Son dossier a été rejeté par les autorités françaises. Depuis il vit là, dans le froid, avec sa tente, son portable, ses packs d’eau et ses six couvertures “pour pas mourir de froid”. Il attend un rendez-vous avec un juge pour enfant
Selon l’association Utopia 56, ils seraient environ 80 mineurs isolés, à vivre dans le tunnel, entourés de deux murs recouverts de tags et d’un plafond d’à peine 2,50m de haut. Une poignée d’hommes seuls vivent là aussi.
“Je mens à mes parents”
À côté d’Amadou, fumant cigarette sur cigarette, Adama, un autre Ivoirien, attend lui aussi un rendez-vous avec un juge pour enfant. “Je comprends pas tout”, raconte-t-il. “J’ai présenté mes papiers, mais ils m’ont dit : ‘Tu verras avec le juge'”. Difficile de savoir quand aura lieu ce rendez-vous. Les histoires sont parfois un peu décousues, mais, à la décharge de ces jeunes qui doivent aussi gérer le traumatisme de leur exil, les démarches administratives sont particulièrement compliquées en France.
Quand un jeune n’obtient pas le statut de mineur, il a la possibilité de déposer un recours devant un juge pour enfants. Mais les délais sont longs et les jeunes, dans l’attente de leur audience, sont sans solution d’hébergement.
Pour Amadou, Adama et beaucoup d’autres, les conditions de vie sont d’autant plus dures qu’ils pensaient que la France leur offrirait protection et confort. “Je ne pensais pas que je me retrouverais ici. Je pensais que je vivrais bien… Je mens à mes parents restés au pays”, dit un jeune. “J’ai dit à ma mère que j’allais bien, que je vivais dans un appartement”, dit un autre.
Ici, dans le tunnel, il n’y a pas de sanitaires, aucun point d’eau. Les riverains se sont organisés pour apporter de la nourriture. “Ils sont gentils, les voisins”, assure Adama. “Regardez, on a eu une livraison”, dit-il en nous montrant un sac rempli de baguettes tout juste déposé pour eux.
“On part quand d’ici ?”
Pour Utopia 56 qui apporte chaque jour des couvertures, mais aussi du soutien à ces jeunes, la situation n’en reste pas moins scandaleuse.
“Ce sont des enfants ! Ils n’ont aucun droit, aucun hébergement, aucune aide financière”, rappelle Kerill Theurillat, le coordinateur d’Utopia 56 très sollicité par les mineurs. “Je suis malade je crois, j’ai froid. Ça ne va pas”, l’interpelle un premier jeune dont le visage est mangé par un bonnet et par une épaisse écharpe qui lui couvre le nez et la bouche. “On part quand d’ici ?”, demande dans la foulée un deuxième jeune en s’approchant du bénévole.
Kerill Theurillat n’a pas toujours les réponses, mais il rassure, leur dit que les associations demandent chaque jour leur mise à l’abri. Les jeunes sont perplexes. “Ça fait trop longtemps qu’on est là”, peste Amadou.
“C’est un scandale aussi, parce qu’on alerte la préfecture et la mairie de Paris quotidiennement sur cette situation et que rien ne se passe”, reprend Kerill Theurillat. “Ce sont des mineurs, au parcours d’exil traumatique, extrêmement vulnérables, et ils sont là, obligés de dormir à la rue”.
De plus en plus de familles
Depuis deux semaines, des familles commencent aussi à arriver. Le camp grossit. Toutes les tentes ne tiennent pas dans le tunnel, elles s’étalent désormais sur les trottoirs, davantage exposées au vent et aux intempéries. “Je pense qu’il y a deux familles qui arrivent chaque jour en ce moment”, continue Kerill Theurillat.
“Je suis arrivé ici il y a 15 jours avec ma fille de 2 ans et ma femme”, explique un Algérien de 21 ans. “Je ne savais pas où aller […] Nous aussi, nous mentons à nos familles…” Comment leur dire qu’il vit sous une tente avec une enfant et sa femme enceinte de 8 mois ?
Les forces de l’ordre, dont les voitures passent de temps en temps devant le campement, ne procèdent à aucun démantèlement. L’État français interdit pourtant les “points de fixation”, l’installation durable de campements informels, mais le “tunnel” est là. Depuis 3 mois.
Pour combien de temps encore ? Avec l’arrivée des températures négatives, les associations espèrent une mise à l’abri imminente. Amadou aussi. “Les 6 couvertures, ça ne suffit pas. C’est très dur de faire une nuit complète. Il fait beaucoup trop froid”. Alassane, un jeune Guinéen, à ses côtés, espère aussi un toit et surtout une inscription à l’école. “Je pensais que Paris c’était le paradis…”, dit le garçon de 16 ans qui a traversé la Libye et la mer Méditerranée avant d’arriver ici. “Vous vous rendez compte ? J’ai réussi à traverser une mer”, continue-t-il le regard dans le vague. “C’est incroyable quand j’y pense. Je peux traverser la mer mais je ne peux pas aller à l’école.”