Les associations dénoncent, dans un document publié mardi, la multiplication des démantèlements sans préavis. Selon elles, le ministère de l’intérieur sape les efforts des ministres du logement et de la santé.
De nombreuses associations caritatives dénoncent d’une même voix les démantèlements de plus en plus nombreux et brutaux de squats, bidonvilles et campements à travers toute la France. Selon un rapport de l’Observatoire des expulsions des lieux de vie informels – animé par huit associations, dont la Fondation Abbé Pierre, Médecins du monde, la Fédération nationale des associations solidaires d’action avec les Tsiganes et les gens du voyage ou le collectif Romeurope –, publié mardi 16 novembre, 1 350 de ces lieux informels ont été démantelés par la police, du 1er novembre 2020 au 31 octobre 2021, avec, la plupart du temps, destruction des abris, cabanes et effets personnels.
L’Observatoire a ainsi calculé que 472 personnes, en moyenne, avaient été mises à la rue, chaque jour, pendant un an, en précisant qu’une même personne pouvait avoir subi ce sort plusieurs fois dans la période. Les démantèlements menés dans les villes du Calaisis et à Grande-Synthe (Nord), lieu de concentration des postulants à la migration vers le Royaume-Uni, représentent, à elles seules, 963 de ces expulsions, soit 77 % du total, certains campements ayant été vidés de leurs occupants des centaines de fois. Dernier démantèlement en date, celui d’un campement de Grande Synthe, mardi 16 novembre, annoncé par Gérald Darmanin sur Twitter. La Gironde, ensuite, totalise 95 opérations et l’Ile-de-France, 86.
Le nombre de ces expulsions est en forte hausse, de 30 % par rapport aux 1 024 de l’exercice 2019-2020. Hors Calaisis, la hausse est encore plus spectaculaire, de 181, en 2018-2019 à 306 en 2020-2021, soit + 70 % (les 122 opérations de police de 2019-2020 n’étant, pour cause de confinements à répétition, pas significatifs). Leur rythme s’est accéléré à partir du 31 mai, quand a pris fin la trêve hivernale exceptionnellement longue.
Zèle de certains préfets
La prolifération des campements n’est cependant pas en cause, puisque l’Etat en recensait 439 en octobre 2021, abritant 22 189 personnes, soit un chiffre stable. Mais, selon l’Observatoire, c’est le zèle de certains préfets, en dépit, souvent, des actions d’insertion et d’intégration engagées sur le terrain par les associations pourtant dûment mandatées par l’Etat, qui est à l’origine de cette suractivité policière.
A Montpellier, par exemple, le préfet récemment nommé Hugues Moutouh a, le 31 août, fait démanteler l’un des plus gros campements de la ville alors qu’une stratégie « territoire zéro bidonville » avait, depuis janvier, été mise en œuvre par les travailleurs sociaux, la municipalité et les services de l’Etat. « L’Etat est schizophrène, juge Florian Huygue, chargé de l’habitat précaire à la Fondation Abbé Pierre. Il déploie beaucoup d’efforts et d’argent pour mener des actions d’hébergement, de scolarisation, de soins ou d’emploi, et les ruine d’un coup en expulsant sans préavis. »
Selon une instruction du 25 janvier 2018 signée de huit ministres, l’Etat doit, théoriquement, avant tout démantèlement, procéder à un diagnostic social et prévoir des hébergements, mais c’est rarement le cas : dans seulement 4 % des cas, un tel diagnostic a été établi, sans hébergement pérenne sinon, parfois, quelques nuits d’hôtel avant de retourner à la rue… et à d’autres campements aussi vite reformés.
« A Lille, nous avions persuadé les familles d’un bidonville près de la citadelle d’accepter les relogements proposés par la préfète à l’égalité des chances, se souvient Dominique Plancke, du collectif Solidarité Roms Lille Métropole, mais toute cette action a été suspendue par un nouveau préfet, Georges-François Leclerc. Nous n’avons plus de contact avec la préfète et les places d’hébergement payées par l’Etat sont vides », déplore-t-il. A l’autre bout de la ville, à Ronchin, 109 personnes qui campaient depuis plus de deux ans sur un terrain public sans gêner le voisinage ont été délogées le 18 octobre, avec vingt-quatre heures pour déguerpir. « Pourtant, beaucoup de ces familles travaillent, certains en CDI, mais ils dorment aujourd’hui dans des voitures, tentant de maintenir à tout prix la scolarité des enfants. C’est aberrant », juge M. Plancke.
« Long travail de persuasion »
A Feyzin, dans la banlieue de Lyon, des familles installées sur le terrain d’une ancienne école ont été délogées la veille de leur vaccination contre le Covid-19 programmée de longue date grâce à Médecins du monde… « En Seine-Saint-Denis, un campement dure à peine trois mois, note Clément Etienne, coordonnateur du programme bidonvilles de Médecins du monde. Or, pendant le confinement, nous avons pu mener un long et patient travail de persuasion auprès des populations roms, particulièrement défiantes envers la vaccination. Nous avons parlé gestes barrières, dangerosité du virus, vaccination au cours des consultations… Mais tout ce travail est sapé par des expulsions à répétition, sanitairement catastrophiques », s’indigne-t-il.
Dans une lettre datée du 13 octobre, adressée au premier ministre, le collectif Associations unies, qui en regroupe 39, analysait : « Si les ministères de la santé et du logement soutiennent une approche de résorption des bidonvilles, avec un doublement des crédits dédiés, les pratiques du ministère de l’intérieur s’y opposent. » « Mais Jean Castex n’a même pas accusé réception de ce courrier », constate Lila Cherief, de l’association Romeurope.
Isabelle Rey-Lefebvre