Par Romain Barucq – r.barucq@sudouest.fr
Publié le 02/11/2021 à 17h18
Mis à jour le 03/11/2021 à 8h40 Couturier dans son pays, Irfan a été contraint de quitter Kounar, province au cœur des montagnes afghanes où les talibans imposent leur loi. Aujourd’hui, il démarre une nouvelle vie dans l’agglomération montoise
Le français est encore hésitant mais le dialogue est possible. Irfan, 28 ans, le reconnaît lui-même, dans un sourire un peu gêné. « Le plus dur, c’est la langue. » Pourtant, malgré ces quelques résistances linguistiques, Irfan raconte son histoire. Sa vie en Afghanistan du temps où il cousait des pantalons, dans la province orientale de Kounar. Le retour des talibans – de noir vêtus et Kalachnikov à la main – dans les zones les plus reculées, bien avant même de reconquérir Kaboul en août dernier. Les libertés qui disparaissent peu à peu. Les brutalités. L’économie qui s’enraye jusqu’à perdre son emploi.
« Le pire, c’était les nuits dans les montagnes à cause du froid et des animaux »
Acculé, il lui reste un choix qui n’est pas simple à faire. Fuir. Fuir quand plus rien n’est possible. « C’était en 2014, j’ai pris un bus jusqu’à Kaboul puis j’ai fait tout le reste à pied, avec un sac sur le dos », dit simplement Irfan. Derrière ces quelques mots qui semblent anodins se cache, en fait, un long parcours, compliqué, de plusieurs années. Un périple de quelques milliers de kilomètres qui l’ont conduit sur les chemins et les routes de l’Iran, de la Turquie (où il est resté pendant un certain temps pour travailler), de la Grèce, de la Serbie, de la Croatie, de l’Italie avant d’arriver, par la côte niçoise, en France. Nous sommes en 2018. « Le pire, c’était les nuits dans les montagnes à cause du froid et des animaux », se remémore l’Afghan, qui a eu maille à faire avec des serpents.
Tendre la main
Pourquoi la France ? « Ici, on peut recommencer sa vie. Je me sens libre », énonce, telle une évidence, Irfan. C’est, en effet, là qu’il dépose une demande d’asile. C’est ici aussi que l’attend un autre parcours, administratif cette fois mais qui n’en demeure pas moins compliqué, fait de sigles abscons pour quelqu’un qui arrive du bout du monde. Après plusieurs mois à Paris où il passe une batterie d’examens, qui lui permettent finalement d’obtenir son statut de réfugiés, il est dirigé vers les Landes, au Centre d’accueil et d’orientation d’Aire-sur-l’Adour plus précisément.
« J’ai pris un bus jusqu’à Kaboul puis j’ai fait tout le reste à pied, avec un sac sur le dos »
Une nouvelle vie commence, faite de cours de français, de cours de citoyenneté, mais aussi de formations. Et d’accompagnement également, notamment par le biais de la Fondation COS Landes (lire par ailleurs). « Je sais qu’il est aussi passé par l’association CFORT, qui prépare aux métiers de la restauration », explique Grégory Niethen, le gérant du restaurant La Taverne, sis avenue du Président-Kennedy, à Saint-Pierre-du-Mont. Malgré les a priori que chacun de nous peut avoir dans ce genre de situation, lui a décidé de tendre la main. « Ces gens-là ont vécu de sacrées choses dans leur pays, cela me semble naturel de leur accorder une chance pour qu’ils s’en sortent. » Et le pari, pour le patron de cette table, est gagnant.
« Quelqu’un de sérieux »
Dans un secteur qui manque souvent de bras, l’arrivée d’Irfan a été scrutée. Et le patron ne cache pas que les débuts ont été un peu compliqués. En cause, la barrière de la langue et la timidité du jeune Afghan. « Il était un peu renfermé sur lui-même au départ, analyse Grégory Niethen. Mais une chose est sûre : c’est quelqu’un de sérieux qui a toujours été à l’heure. Il est volontaire, même pour les coups de bourre, il est toujours prêt. » Dans les cuisines, Irfan a plusieurs casquettes. Ce matin-là, il s’attelait à la préparation des frites. « Il s’occupe aussi du poisson et des flammekueches, précise le gérant. Il sait désormais gérer ses stocks tout seul. Il est de plus en plus autonome et arrive même à lire parfaitement les bons de commande en français. »
Encore secret sur sa vie d’avant, le presque trentenaire s’ouvre de plus en plus. « Il se lâche en cuisine, rigole avec ses collègues. En août dernier, il a été perturbé par tout ce qui se passait à Kaboul avec le retour des talibans au pouvoir. » Irfan acquiesce. Sa mère, deux frères et une soeur vivent encore sur place. Il n’a aucune nouvelle d’eux depuis qu’Internet a été coupé par le nouveau régime.
S’il espère ne pas voir rompre le fil qui le lie à son ancienne vie, Irfan regarde aussi vers l’horizon. Le sien. Avec une nouvelle vie qui démarre. Pour preuve, lui qui est arrivé sans rien est désormais locataire de son propre logement. Une façon de s’intégrer encore un peu plus.
Environ 600 places d’hébergement
Mi-octobre, la préfète des Landes, Cécile Bigot-Dekeyzer, rappelait – à l’occasion de la Semaine de l’intégration – l’importance pour l’État d’accompagner tous ces réfugiés. « Comme ils ont vocation à rester sur le territoire, nous devons les aider, à travers les différents opérateurs présents dans le département, à trouver une formation, un emploi, un logement mais aussi à maîtriser la langue, énumérait la représentante de l’État, qui soulignait, en même temps, l’implication des bénévoles et des collectivités sur ces dossiers. L’objectif est de faciliter l’intégration dans la société française. » Cécile Bigot-Dekeyzer a également insisté sur les valeurs de la République, qui fait aussi l’objet d’une transmission, particulièrement sur les questions d’égalité entre les femmes et les hommes, mais aussi sur la thématique de la laïcité. En 2021, environ 600 places d’hébergement de demandeurs d’asile sont disponibles dans les Landes. Ces places sont réparties au sein de quatre Centre d’accueil de demandeurs d’asile (Cada) et trois Hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile (Huda).