3 novembre 2021 Par François Bougon
Le gouvernement américain accuse NSO Group d’avoir commercialisé un outil numérique mis au service de la répression de dissidents, militants et journalistes. Cette décision contraste avec la réaction timide des États européens, au premier rang desquels la France.
Le groupe israélien NSO, qui a développé le logiciel espion « Pegasus », a été placé sur la liste noire (« Entity List ») du Département du commerce états-unien « pour avoir participé à des activités contraires à la sécurité nationale ou aux intérêts de politique étrangère des États-Unis ». La décision, rendue publique mercredi 3 novembre, intervient plus de trois mois après les révélations du consortium Forbidden Stories, de l’ONG Amnesty International et de 16 médias internationaux associés.
Ces derniers avaient mis au jour l’ampleur de la surveillance effectuée grâce au logiciel Pegasus, qui peut prendre seul le contrôle d’un appareil et, théoriquement, avoir accès à l’intégralité du contenu d’un téléphone en temps réel. Il permet même d’activer à distance – et de manière totalement invisible – le microphone et la caméra de l’appareil infecté. © Illustration Sébastien Calvet / Mediapart
Mercredi, le Département du commerce états-unien a expliqué que NSO Group avait été ajouté à la liste, en compagnie de trois autres entreprises (une israélienne, une russe et une singapourienne), pour avoir « fourni des logiciels espions à des gouvernements étrangers qui ont utilisé ces outils pour cibler de manière malveillante des fonctionnaires, des journalistes, des hommes d’affaires, des militants, des universitaires et des employés d’ambassades ».
« Ces outils ont également permis à des gouvernements étrangers de mener une répression transnationale, qui consiste pour des gouvernements autoritaires à cibler des dissidents, des journalistes et des militants en dehors de leurs frontières souveraines pour les faire taire. Ces pratiques menacent l’ordre international fondé sur le respect des règles de droit », poursuit le texte, soulignant que « l’action d’aujourd’hui s’inscrit dans le cadre des efforts de l’administration Biden-Harris pour placer les droits humains au centre de la politique étrangère américaine, notamment en s’efforçant d’endiguer la prolifération des outils numériques utilisés pour la répression ».
Discrétion française
Cette décision américaine – qui interdit notamment à NSO d’acheter des pièces et des composants de compagnies américaines sans une autorisation spéciale – souligne cependant l’absence de régulations de ces armes numériques, dont les exportations restent un pouvoir discrétionnaire des États (lire l’article de Jérôme Hourdeaux ici). Elle contraste également avec la réaction bien timide des États européens concernés, au premier rang desquels la France (lire le papier de Lénaïg Bredoux et Ellen Salvi là).
Depuis les révélations, NSO a mis fin à plusieurs contrats pour un montant de 300 millions de dollars, selon l’agence Reuters. Dimanche, le groupe a annoncé que son fondateur, Shalev Hulio, quittait son rôle de PDG, remplacé par Isaac Benbenisti, pour devenir « président mondial » et vice-président du conseil d’administration.
Fin octobre, les médias israéliens avaient évoqué le déplacement à Paris du conseiller israélien à la sécurité nationale, Eyal Hulata, pour rencontrer le président Emmanuel Macron et plusieurs hauts responsables et apaiser la crise née des révélations. Lundi dernier à Glasgow, en marge de la conférence sur le climat COP26, le premier ministre israélien Naftali Bennett, entré en fonction en juin, a discuté avec Emmanuel Macron de NSO.
« M. Bennett a évoqué le dossier NSO lors de sa rencontre avec le président Macron. Les deux dirigeants se sont entendus sur le fait que cette question doit continuer d’être traitée de manière discrète et professionnelle, et dans un souci de transparence entre les parties », a déclaré une source diplomatique à Jérusalem citée par l’AFP.
Le logiciel Pegasus doit, comme du matériel militaire, obtenir une licence d’exportation du ministère de la défense israélien pour être vendu à un État étranger.
Les principales cibles des États clients de NSO sont des opposants politiques, des militants associatifs et des journalistes du monde entier, parmi lesquels Edwy Plenel et Lénaïg Bredoux, de Mediapart, mais aussi des responsables politiques, au premier rang desquels se trouve le président français Emmanuel Macron.
Fin septembre, Mediapart avait révélé que les téléphones d’au moins cinq ministres français, Jean-Michel Blanquer, Jacqueline Gourault, Julien Denormandie, Emmanuelle Wargon et Sébastien Lecornu, avaient été infectés par Pegasus.
D’après les conclusions techniques de l’enquête de Forbidden Stories et du Security Lab d’Amnesty International, les victimes françaises de Pegasus ont été ciblées par le royaume du Maroc, client de NSO comme de nombreux autres pays (Inde, Mexique, Azerbaïdjan, Kazakhstan, Rwanda, Arabie saoudite, Hongrie, etc.). Le gouvernement marocain a toutefois contesté de telles accusations après les révélations de Forbidden Stories, déposant une salve de plaintes en diffamation.
Sur le fond, une enquête préliminaire du parquet de Paris est actuellement en cours afin d’établir judiciairement ce qui a été journalistiquement révélé.