Pour acheter et réhabiliter des fermes sans en faire porter le poids financier aux habitants et paysans, l’association a fait le pari un peu fou de faire venir les bailleurs sociaux dans le monde rural pour refaire naître des fermes d’un nouveau genre.
13 septembre 2021 – Laurie Debove
C’est n’est rien de moins qu’une petite révolution dans l’accès au logement social et foncier agricole que propose l’association ReNouveau Paysan. Sa stratégie : réhabiliter des fermes pour créer des logements sociaux accueillant paysans bien sûr, mais aussi d’autres familles pour créer des « communs alimentaires ». Après avoir lancé un premier projet dans le Béarn, la Ferme Mouliaa, l’association cherche maintenant à répliquer son projet au Pays Basque.
Redonner vie aux fermes pour favoriser l’installation agricole
Aujourd’hui, les fermes sont près de deux cents à disparaître chaque semaine en France. Départs à la retraite non renouvelés, suicides, mais aussi difficulté d’accès au foncier pour les aspirants paysans n’étant pas issus du monde agricole. En cause : l’agrandissement des fermes, poussées par les politiques publiques et notamment la PAC, et des investissements économiques importants qui nécessitent parfois l’engagement de toute une vie.
« Depuis plusieurs décennies le monde paysan se délite en silence entraînant dans sa chute l’inexorable extinction de leur outil de vie et de travail. S’ils ne tombent pas en ruine, les bâtiments perdent quant à eux leur vocation agricole pour devenir des lieux d’habitations classiques ou, pire, des résidences secondaires dont on ouvrira les volets quelques jours par an, à la belle saison. Dans tous les cas, le microsystème cohérent que constituait la ferme n’est plus. » s’inquiète l’association ReNouveau Paysan
Ces problématiques, Linda Rieu et Lulu Lugan les connaissent bien à travers leur histoire personnelle, ils ont pour point commun d’avoir grandi dans une ferme basque. A force d’échanges, leur est alors venue une idée :
« Créer des communs alimentaires sur les territoires en redonnant vie aux fermes qui en sont les pierres angulaires. »
Pour acheter et réhabiliter des fermes sans en faire porter le poids financier aux habitants et paysans, l’association a fait le pari un peu fou de faire venir les bailleurs sociaux dans le monde rural pour refaire naître des fermes d’un nouveau genre.
« Le schéma agricole dominant n’est pas d’installer des paysans mais de faciliter l’agrandissement des fermes. Quand j’ai commencé à regarder la loi LAAF, le sentiment c’est que tout est à la fois possible et impossible dans la loi. Lorsque les bailleurs sociaux se sont posés la question d’être compétents à lier logement social et terres agricoles, nous avons donc mandaté deux maîtres de conférence de Pau qui ont étudié le droit pour savoir où situer notre démarche, et ils nous ont confirmé que c’est légalement faisable. » explique Lulu Lugan pour La Relève et La Peste
De nombreux projets paysans montés en collectif voient le jour actuellement. Mais la pression des difficultés économiques, couplé à l’urgence d’obtenir un modèle agricole rentable pour plusieurs personnes, fait souvent capoter la dynamique de groupe. La formule proposée par ReNouveau Paysan veut permettre à chacun.e de garder une certaine autonomie et une sérénité d’esprit.
Recréer du commun
A l’époque, plusieurs générations d’une même famille occupaient ces grandes surfaces. Aujourd’hui, l’association ReNouveau Paysan propose de transformer les fermes pour les diviser en plusieurs logements qui seront loués à des familles et aux paysans. Les familles civiles signeront un bail social classique tandis que les familles de paysans signeront un bail rural environnemental.
« L’un des facteurs de suicide des paysans, c’est la solitude. On ne croit pas non plus au collectif à 100% car de nombreux projets paysans échouent en collectif. Il était donc très important que chacun ait son espace et son intimité, mais le fait d’avoir du lien choisi est quelque chose qui peut permettre la redynamisation des milieux ruraux. » explique Linda Rieu pour La Relève et La Peste
Dans cette nouvelle forme d’habitat partagé, chaque logement reste indépendant. Des espaces communs permettront de favoriser un environnement convivial et des dynamiques collectives. Comme pour les familles, le loyer des paysans ne sera pas basé sur leur performance et leur rendement agricole, mais fixé par le bailleur social.
« Pour les paysans comme pour les familles, ce type de location est une vraie liberté et une sécurité. La location permet aux paysans de tester la pérennité de leur activité agricole sans s’endetter à vie. Redonner cette liberté est une vraie valeur ajoutée. » décrypte Lulu Lugan pour La Relève et La Peste
Évidemment, une telle démarche s’inscrit dans le respect de l’environnement. L’association souhaite qu’un inventaire écologique des lieux soit réalisé avant chaque rénovation, comme cela a été le cas en 2020 pour la Ferme Mouliaa, et les matériaux et techniques de construction seront choisis pour en faire des habitats innovants à basse consommation.
Dépasser les blocages
Dès le départ, la démarche de ReNouveau Paysan a été appuyée par la Région Nouvelle Aquitaine et le Conseil Départemental 64. En revanche, ils ont dû affronter plusieurs blocages émanant des organismes agricoles traditionnels et des bailleurs sociaux.
Les premiers avaient peur que cela entraîne une perte éventuelle des terres agricoles, « alors qu’il s’agit faire un remaillage d’un écosystème », et les seconds de sortir de leur champ de compétence traditionnel.
« Surtout, la transversalité du projet a fait mettre différents acteurs des collectivités, qui n’ont pas l’habitude de se parler, autour d’une table ensemble. C’est la fin de la pensée par silo, les bailleurs sociaux et les collectivités n’ont pas du tout l’habitude de réfléchir comme ça mais c’est ce qu’on est censés faire ! Tout est lié ! Le fait de faire des zones de stockage de l’eau, on est en transversal avec l’agricole, le logement, la biodiversité : ce sont des passerelles auxquelles il faut habituer les gens. D’où l’importance de créer des convergences. » développe Lulu Lugan pour La Relève et La Peste
En avril 2019, Office 64 de l’Habitat, le plus important bailleur social public des Pyrénées-Atlantiques, a été convaincu par les arguments des deux comparses et décidé de s’engager dans l’aventure. Deux ans plus tard, il est devenu propriétaire de la ferme Mouliaa et de ses terres attenantes. C’est la première fois qu’un bailleur social lie un logement avec un espace professionnel agricole.
Située dans le village d’Espiute (64) qui compte aujourd’hui 100 habitants, la ferme Mouliaa se compose d’une maison et d’un hangar adjacent totalisant une surface plancher d’environ 640m2. Office 64 de l’Habitat va transformer les bâtiments existants en six logements sociaux à la location.
Deux d’entre eux sont destinés à des paysan.ne.s qui pourront cultiver les deux hectares de parcelles agricoles attenantes, immédiatement certifiables en BIO par leur qualité. Juridiquement, les paysans ont pour condition de cultiver les terres qui leur seront allouées.
Les quatre autres logements sont destinés à des familles avec des espaces allant du T2 au T4. Les familles pourront aussi, si elles le souhaitent, cultiver des petits jardins à disposition pour améliorer leur autonomie alimentaire.
« La zone humide ou les chauve-souris recensées seront bien sûr prises en compte dans l’aménagement de la future ferme. En complément, des haies vont être plantées à l’hiver prochain et des mares créées pour favoriser un renforcement de la biodiversité. La gestion de l’eau sera également pensée au maximum de manière circulaire : récupération des eaux de pluie, infiltration dans les sols, etc. » détaille l’association
Linda et Lulu restent humbles dans leur démarche : pour eux, réhabiliter les fermes pour les transformer en logements sociaux et paysans est l’UNE des solutions ayant la capacité de répondre aux défis écologiques et sociaux du XXIème siècle.
Les familles seront sélectionnées par le bailleur social tandis que les paysans le seront par des partenaires agricoles qui vont évaluer la pertinence de leur projet, leur intégration dans le territoire et la non-mise en concurrence entre les deux paysans habitants. Un compagnonnage avec les chercheurs de Bordeaux Science Agro est également prévu pour évaluer la pérennité d’une microferme.
« Nous ce qu’on essaie de faire, c’est de mettre en place des outils pour que les gens se les approprient. On aimerait créer un réseau de fermes comme ça sur l’ensemble du territoire français. La biodiversité, tout citoyen en a besoin, c’est donc à la collectivité de financer les projets qui la protègent mais l’engagement officiel de l’État au niveau national se fait encore attendre. » précise Lulu Lugan pour La Relève et La Peste
En effet, bien que le projet soit intégré depuis janvier 2020 dans le dispositif France Expérimentation, le Ministère du Logement n’a pas encore déclaré son positionnement officiel sur la possibilité pour un bailleur social de lier logements et terres agricoles.
L’association ReNouveau Paysan a donc lancé une pétition en ligne afin de mobiliser les citoyens pour demander aux services de l’État de s’impliquer dans la démarche d’expérimentation du Bail Social Paysan.
Pour étendre leur initiative, ReNouveau Paysan recherche sur tout le Pays Basque des fermes à la vente ou à la transmission possédant a minima 2ha de terres environnantes. L’association va aussi se rapprocher d’agriculteurs bientôt à la retraite et toujours sans repreneur identifié. Pour l’association, la réhabilitation de leurs fermes peut leur permettre de disposer d’un logement en restant sur les lieux où ils ont toujours vécu tout en transmettant leur outil de travail.
De son côté, la ferme Mouliaa devrait être prête à accueillir ses habitants en 2023. Un beau projet à suivre de près.
Crédit photo couv : Dessin de Clara Lang 13 septembre 2021 – Laurie Debove