Le 20 septembre 2021, Emmanuel Macron a demandé « pardon » aux harkis, anciens supplétifs de l’armée française en Algérie. Dix jours plus tard, il a déclenché une crise diplomatique avec l’Algérie en dénonçant la « rente mémorielle » du pouvoir algérien et en s’interrogeant sur l’existence d’une « nation algérienne avant la colonisation française ».
Tout cela juste avant la commémoration, ce dimanche, des 60 ans du 17 octobre 1961, massacre d’Algériens en plein Paris.
Dans L’Art de perdre (Flammarion, 2017), Alice Zeniter raconte l’histoire d’une famille de harkis. La romancière, qui s’interroge aussi sur la mémoire et les récits qui structurent nos imaginaires, commente pour Mediapart ces épisodes récents.
« Je ne fais pas confiance aux États pour s’emparer des questions de mémoire entre la France et l’Algérie », dit-elle. « Le problème de ces paroles étatiques, c’est la verticalité d’une parole du haut qui dit : je te reconnais ou pas, je te donne la parole, tu peux parler. […] Ce cynisme à chaque fois m’irrite, me blesse. »
« Quand Macron fait des déclarations sur l’Algérie, je préfère me boucher les oreilles. »
Le « pardon » aux harkis ? « C’est un peu facile de dire pardon après que des décennies ont perpétué un état d’abandon de ces populations », juge la romancière, admettant que ces mots peuvent aussi apaiser des blessures.
« Soixante ans après, ces paroles sont rendues insupportables pour moi alors qu’en Afghanistan, l’État français reproduit des abandons […] pour ceux ayant travaillé avec l’armée française. Au moment où le président aborde cette question en parlant de “flux migratoires”, le fait de dire “mais par contre, pour ce qu’on a fait il y a 60 ans” : pardon, je m’en fous ! »
Quant à la commémoration officielle des s60 ans du 17 octobre 1961, Zeniter dit en « espére[r] peu ». « Je vois mal Emmanuel Macron reconnaître un crime d’État, dit-elle. Ce gouvernement se débat avec la question des violences policières. Il est accroché à l’idée qu’il doit montrer un soutien à sa police. »
Des violences contemporaines qui, souligne-t-elle, trouvent leurs origines dans les agissements de la police française dans ses colonies, « un système raciste qui perdure aujourd’hui dans les contrôles au faciès ».
« Ce que je voudrais voir, dit-elle, c’est la reconnaissance d’une histoire des violences. »
La romancière revient enfin sur l’omniprésence des débats sur la « colonisation », en particulier à l’orée de la campagne présidentielle. « Pas d’excuses pour le passé colonial : cette phrase semble devenue une valeur républicaine en soi. »
Alice Zeniter cite un exemple : la défense à l’extrême droite du maréchal Bugeaud, responsable de la mort de milliers d’Algériens au XIXe siècle. « Que ce nom puisse revenir sans laisser un goût de cendre et de bile dans la bouche, que ce nom puisse être prononcé comme si c’étaient des trompettes de cuivre, ça me rend dingue. »
Montage : Martin Bessin.