Commençons par celui qui a sensiblement défrayé la chronique, (1) j’y reviendrais, en l’occurrence François Noudelmann avec son livre publié chez Gallimard intitulé « Les enfants de Cadillac » (2) Noudelmann est philosophe auteur de nombreux essais, théoriques, sur Sartre, Nietzsche ou encore Édouard Glissant. Dans ce nouvel opus, Noudelmann part à la quête de son origine, en interrogeant le destin tragique de son grand père, et de son père.
A Cadillac, les mutilés du cerveau
Le grand père Chaïm, juif de Lituanie fuyant les persécutions arrive en France en 1911 et s’engage dans l’armée pour obtenir la nationalité française. Blessé par une bombe chimique pendant la grande guerre, il sera interné pendant 20 ans, d’abord à Sainte-Anne et à l’hôpital psychiatrique de Cadillac où il est mort en 1941. Dans cet hôpital furent recueillis dans des conditions épouvantables les soldats rendus fous par la grande boucherie. Près d’un millier de malades sont morts dans ces années 40 et 41 à Cadillac comme dans de nombreux HP de l’époque, victimes très majoritairement de cachexie, mot savant pour dire mort de faim. Manque de moyen dédiés à ces derniers de cordée que sont les malades mentaux. Pire, à Cadillac, cette situation a été aggravée par un énorme coulage organisé à fin de marché noir par le personnel de l’établissement.
L’Expérience familiale et l’identité
Quant à Albert le père du narrateur, une guerre plus tard, il connaîtra les camps nazis, les usines d’armement, les sections disciplinaires, le travail dans les fermes, des amitiés et des amours, des moments d’extrême désespoir, la mort souvent en vue, des années de survie dans cette Allemagne qui va s’enfoncer peu à peu dans le chaos. Le jeune Albert devra faire appel à toutes son intelligence, sa séduction, son humour pour en revenir vivant, miraculé. Mais cette expérience a aussi changé sa vision du monde, la suite ne sera jamais un retour à la normal, son épouse a aussi changé de vue, d’homme en l’occurrence. Albert traverse des décennies en somnambule et en silence. Jusqu’au jour où il accepte pour son fils de raconter ces années, des heures d’enregistrement que son fils retrouvera après la mort, volontaire de son père. Ce récit est au cœur du livre, dont le lecteur ne sort pas non plus indemne. François Noudelmann demande« A quelles expériences familiales doit-on ce que l’on est devenu ? Comment les désirs des parents, leur volonté d’acquérir une identité, une place, une réputation se répercutent-ils sur les êtres qui leur succèdent ? »
…dans la vie comme dans la boue…
Une question qui fait écho à celle de Sorj Chalandon dans son dernier ouvrage Enfant de Salaud chez Grasset. L’écrivain Sorj Chalandon, également journaliste, aujourd’hui au Canard enchaîné, longtemps grand reporter de guerre à Libé, s’attaque à nouveau à la figure du père déjà abordée dans Profession du père en 2015. Le père de Chalandon, un mythomane invétéré fut du mauvais côté dans la dernière guerre et l’est resté ensuite, jetant dit Chalandon » son fils dans la vie comme dans la boue ; sans trace, sans repère sans lumière sans la moindre vérité ». Encore un très beau roman de Chalandon qui signe là son 10éme ouvrage
La porte du voyage sans retour
David Diop enfin maitre de conférences en littérature à la fac de Pau, a connu en 2018 un beau succès avec Frère d’âme, il revient cette année avec La porte du voyage sans retour publié au Seuil. Cette porte du voyage sans retour sur l’île de Gorée en face de Dakar au Sénégal, c’est celle de la maison des esclaves, une ouverture qui ouvre sur le large et d’où embarquaient les esclaves selon une version largement controversée. Mais Diop prend un détour pour nous parler de l’esclavage, l’histoire vraie du naturaliste Michel Adanson, celui-ci visita Gorée au milieu du 18éme siècle et partit à la recherche d’une jeune africaine qui a réussi à s’évader… Je ne spoile pas plus l’histoire si par hasard vous devez la lire…
Et point commun a ses trois ouvrages, ce que j’ignorais et que j’ai découvert en écrivant ces lignes, c’est qu’ils furent tous sur la première liste de la sélection du prix Goncourt, hors maintenant celui de Noudelmann, cf. note N1.
J F Meekel
1 : L’affaire Goncourt ou plutôt l’affaire Laurens. La compagne de François Noudelmann est Camille Laurens, auteure, membre du jury Goncourt, Goncourt dont le livre de François Noudelmann se trouvait sur la première liste) est aussi critique littéraire régulière du Monde des Livres. Premier problème, le conflit d’intérêt que peut représenter cette proximité entre Noudelmann, qui dédie d’ailleurs son livre à C L, et Camille Laurens membre du jury. Le jury a envisagé la question et répondu par la négative. Ouf ! Sauf que Camille Laurens, avec sa casquette de critique littéraire a eu la très mauvaise idée, pour François Noudelmann, de rédiger une critique au bazooka/vitriol d’un autre livre présent sur la même liste, celui d’Anne Berest, La carte postale qui traite aussi de la Shoah. Je vous livre in extenso les propos de Didier Decoin, le président du jury Goncourt lorsqu’il a découvert la critique du Monde. « On a le droit de tout dire pendant nos délibérations et je n’ai pas le souvenir que Camille Laurens se soit montrée aussi violente envers le livre d’Anne Berest pendant nos discussions, poursuit Didier Decoin. En revanche, une fois que la liste est entérinée, elle devient le choix officiel de l’Académie et on doit tous se montrer solidaires. Or le sous-texte de l’article de Camille, c’est “les membres de l’Académie sont des cruches, ils ont voté pour un livre de merde”. Ce qu’elle a écrit est très violent, mais elle est toute neuve chez nous et elle a droit à une erreur. » Résultat, une réécriture du premier amendement du règlement intérieur du fameux prix : « Dans les sélections du prix, désormais, « ne pourront être retenus les ouvrages des conjoints, compagnons ou proches parents des membres du jury » Résultat final : Les enfants de Cadillac ne figure plus sur la dernière liste, celui d’Anne Berest en revanche y est toujours ! Dommage pour l’excellent roman/récit de Noudelmann, espérons cependant que cette polémique lui aura donné une certaine visibilité et attiré des lecteurs.
2 : Rencontré depuis l’écriture de cette chronique lors d’une présentation de son livre à la librairie Georges à Talence (33), et interrogé par mes soins sur ce titre qui ne me paraît pas exactement adapté au contenu de l’ouvrage, François Noudelmann a précisé que ce titre était un choix de son éditeur, lui avait plutôt envisagé asile !
Les Enfants de Cadillac François Noudelmann Gallimard
Sorj Chalandon Enfant de salaud Gallimard
David Diop La porte du voyage sans retour Seuil