- 6 oct. 2021
- Par YVES FAUCOUP
- Blog : Social en question
Le Canada tremble sur ses assises : la découverte de ce qui a été imposé aux enfants des populations autochtones fait scandale. Le 30 septembre a été célébrée la première Journée de la vérité et de la réconciliation par des centaines de membres des Premières Nations.
Un des pères de la Confédération (il a « régné » près d’un demi-siècle), John Macdonald, est gravement mis en cause pour avoir initié au XIXe siècle les pensionnats pour ces enfants. C’est ainsi, au fil du temps, que 150 000 enfants amérindiens, métis et inuits ont été contraints à rejoindre 139 pensionnats et ce jusqu’en 1996. Ils y auraient subi des mauvais traitements et des abus sexuels. 4000 d’entre eux, en Colombie-Britannique (à Kamloops) et au Saskatchewan, y seraient morts, selon une commission d’enquête qui a évoqué un « génocide culturel ». Des dépouilles d’enfants ont été exhumées. Justin Trudeau a parlé de « crime contre l’humanité » Depuis cette découverte macabre, les drapeaux canadiens sont en berne.
En août 2020, la statue de John Macdonald, dressée depuis 1895 à Montréal, a été abattue par des manifestants qui protestaient, par ailleurs, pour qu’une partie du financement de la police soit reversée à des organisations d’aide sociale. Les autorités ont réagi mollement.
Il y a quelques jours, le 30 septembre 2021, en ce même lieu qui avait vu le déboulonnement de la statue, des centaines de membres des Premières Nations se sont rassemblés pour célébrer la première Journée nationale de la vérité et de la réconciliation.
« Chaque enfant compte »
Le Monde du 2 octobre cite le témoignage d’une jeune femme présente à cette cérémonie : « je suis venue en mémoire de ma mère qui était une survivante de ces écoles, afin que notre histoire soit enfin enseignée dans les écoles, afin que le racisme systémique que nous subissons encore aujourd’hui cesse, afin que nous ne soyons plus jamais relégués au rang de sauvages ». Trois anciens pensionnaires ont raconté les violences subies et la souffrance morale d’avoir été ainsi séparés de leurs familles et de leur culture. Ils avaient alors interdiction de parler leur langue. Justin Trudeau a reconnu que ces « erreurs du passé […] nous façonnent encore aujourd’hui » et que « le pays est responsable de terribles injustices ». Même la reine Élizabeth (chef d’État symbolique du Canada) y a été de sa tirade face à ce « douloureux passé » (heureusement que son titre n’est qu’honorifique sinon on aurait bien pu lui demander des comptes puisqu’elle est en poste depuis bientôt 70 ans). Elle est représentée désormais, depuis juillet, par Mary Simon, une Inuite, ayant pour titre de gouverneure générale, sur décision du premier ministre Trudeau : elle a pour autre fonction d’être commandante en chef des Forces armées canadiennes ! Que ne ferait-on aujourd’hui pour tenter de panser les plaies.
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Alors que la France connaît en ce moment les révélations terribles du rapport Sauvé sur les crimes pédophiles dans l’Église catholique, celle du Canada a présenté fin septembre ses excuses officielles aux peuples amérindiens, espérant réconciliation et guérison par le versement d’indemnités équivalentes à 20 millions d’euros. Mais les exactions des religieux ont touché également des enfants non autochtones : les Frères du Sacré-Cœur devront verser 60 millions d’indemnités à leurs victimes, les missionnaires des Oblats de Marie-Immaculée (sic) font l’objet d’un recours collectif pour agression sur des enfants et des femmes. En juin 2020, cinq membres des Clercs de Saint-Viateur, enseignants dans des collèges, ont été arrêtés par la police pour agression sexuelle, attouchement sexuel et « grossière indécence ». Un prêtre, enseignant dans un collège, a été condamné en juillet dernier pour agressions sexuelles sur 12 enfants, agressions qu’il a avouées.
La discrimination envers les peuples autochtones et plus précisément leurs enfants ne portent pas que sur ces placements et les actes criminels cités plus haut : en janvier 2016, le Tribunal canadien des droits de la personne a dénoncé le gouvernement fédéral, coupable de discrimination raciale envers les enfants autochtone en ne leur offrant pas le même accès aux services sociaux qu’aux autres enfants du pays. « Ottawa a dépensé jusqu’à 34 % de moins pour les soins aux enfants autochtones les plus vulnérables, dont des handicapés, comparativement aux enfants du reste du Canada », écrivait Isabelle Mourgère dans un article de TV5 Monde. La bataille avait duré 9 ans pour les défenseurs de l’égalité des droits.
Ces drames, comme tant d’autres dans d’autres pays, doivent nous rappeler que la protection des enfants, dans un pays dit démocratique, doit être assurée de façon rigoureuse, c’est-à-dire en évitant toute généralisation : l’intérêt supérieur d’un enfant ne peut jamais se fonder sur le fait que cet enfant appartiendrait à un groupe ethnique, à une famille religieuse, à une communauté ayant un mode de vie différent de la « norme », mais seulement sur des faits probants, juridiquement définis et dûment constatés.
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Les 600 nations amérindiennes et inuits regroupent 1,7 million de personnes, soit à peu près 5% de la population totale du pays.
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Sources :
. Les enfants autochtones disparus du Canada, 2 juin, France culture.
. La France protège un prêtre accusé de pédophilie sur des enfants autochtones, article d’Aurélie Journée-Duez sur son blog Mediapart (15 juillet).
. Enfants autochtones, les oubliés du Canada, TV5 Monde.
. Canada : on vous explique l’affaire des tombes découvertes près d’anciens pensionnats pour enfants autochtones, France Info, 1er juillet 2021.
. La statue de John A. Macdonald déboulonnée et décapitée, 29 août, Journal de Montréal.
. Première journée officielle de commémoration des enfants autochtones disparus au Canada, 1er octobre Le Monde (2/10 version papier).
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. Des excuses pour les enfants des minorités placés de force, 18 août, blog Social en question (sur Mediapart). Dans cet article, j’évoquais les affaires d’enfants retirés intempestivement à leurs familles qui, depuis une vingtaine d’années, défraient la chronique. Parce qu’elles appartenaient à des minorités ou à des opposants. Sont concernés, entre autres : l’Australie, l’Espagne, l’Argentine, le Canada, la Suisse, l’Angleterre, l’Irlande, la France.
Where the Spirit Lives
Film écrit par Keith Ross Leckie, réalisé par Bruce Pittman en 1989 pour une télévision canadienne anglophone dont le scénario décrit la situation des enfants autochtones du Canada qui sont retirés de leurs tribus pour fréquenter les pensionnats afin d’être assimilés à la culture majoritaire (européenne-canadienne). Amelia, une jeune fille d’une tribu, enfermée dans un de ces pensionnats, résiste à l’assimilation et organise son évasion. Where the Spirit Lives (Où habite l’esprit) a été projeté au Canada et aux États-Unis, dans de nombreux festivals, universités et collèges.