Publié le 19/09/2021 à 16:07 – Mis à jour le 19/09/2021 à 16:09
La presse française dans sa presque totalité, s’est saisie de la question de la rupture de ce qui est appelé « contrat du siècle » pour relayer les propos de leurs dirigeants, d’Emmanuel Macron à Florence Parly en passant par Jean-Yves Le Drian, sans oublier les responsables politiques de tout bord. Un seul mot-clé vient et revient : la trahison. Le ministre des Affaires Étrangères M. Le Drian parlait de « trahison de la confiance »,de « trahison de la parole donnée » ou encore de « coup dans le dos » pendant que sa collègue de la Défense Madame Parly parlait de « très mauvaise nouvelle pour le respect de la parole donnée et une décision grave en politique internationale ». Puis, toute la « politicosphere » française s’en mêle avec un certain amour jusqu’à Zemmour, surtout en cette veille de présidentielle où certains sont à la recherche d’étincelle pour démarrer enfin leur campagne. Tout cela crée un grand vacarme qui désarme pour tout raisonnement. Alors éloignons-nous du brouhaha pour poser le débat sans fioritures.
En 2016, l’Australie et la France avaient entamé des discussions sur un éventuel énorme contrat de sous-marins français à propulsion diesel/électrique, donc des sous-marins conventionnels, mais rien n’a été signé. Pour donner un coup de boost à l’hypothétique futur contrat, le président qui venait d’avoir un an à l’Élysée, s’était rendu au port de Sydney avec le PM australien de l’époque Malcolm Turnbull où ils ont visité un sous-marin australien. On était en mai 2018 et jusque-là, aucune signature de contrat n’était intervenue. Il a fallu attendre neuf mois, c’est-à-dire février 2019 pour voir enfin le contrat signé entre l’État australien et le français Naval group par le canal des ministres de la Défense respectifs en présence du nouveau PM Scott Morrison. Naval Group est détenu à plus de 60% par l’État français.
Le contrat signé s’appelle « Future Submarine Programme ». Il était de 32 milliards d’euros et non 56 milliards à sa signature en 2019 pour douze sous-marins. Il était aussi assorti d’un transfert de technologie avec fabrication sur place (Australie).
Il y a un certain nombre de raisons qui ont conduit le PM Scott Morrison à rompre le juteux contrat, mais ces raisons sont peu relayées par la presse française qui préfère entonner la chanson de la trahison.
En effet, outre la raison liée au retard dans la livraison, il y a une réévaluation qui passe du simple à près du double avec désormais 56 milliards d’euros. Cette hausse est la pilule qui passe très mal au sein de l’opinion australienne et la pression aidant, le gouvernement qui, pressé par de nouveaux enjeux stratégiques avec la détérioration subite des relations avec la très gourmande Chine qui ne cache pas ses ambitions dans la zone indopacifique, a décidé de relever sa capacité de défense. Cela passe par un nouveau besoin. Il s’agit de troquer les sous-marins à propulsion diesel/électrique français contre ceux à propulsion nucléaire américaino-britanniques. D’ailleurs le PM australien justifie la rupture non pas par un changement d’avis, comme le martèlent les dirigeants français, mais par un besoin.
On peut donc parfaitement comprendre l’Australie qui veut aussi se rassurer en étant au milieu des « siens », c’est-à-dire Américains et Britanniques dans le cadre du nouveau pacte de sécurité AUKUS (Australia-United Kingdom-USA) dans la zone indopacifique pour faire face aux ambitions chinoises dans la zone.
Il est clair que la France a des intérêts souverains et stratégiques dans cette vaste zone avec notamment l’Ile de la Réunion, la Polynésie et la Nouvelle Calédonie. Ce sont donc près de 2 millions de ressortissants français concernés par la zone indopacifique et 7000 soldats français présents dans la zone, mais la France sait qu’elle n’a pas les moyens ni financiers ni technologiques de ses ambitions indopacifiques.
Si les intérêts stratégiques de l’Australie lui commandent de rompre avec le français Naval group comme prévu par les clauses du contrat, ne doit-elle pas dénoncer, puis rompre le contrat en question ? la France doit-elle créer un si grand tollé autour de l’affaire jusqu’à parler même de trahison, de mensonge et de duplicité de la part, à la fois de l’Australie et des USA ? Ne peut-on pas reprocher à la France ce qu’elle reproche aujourd’hui à l’Australie et aux USA ? Il s’agit de deux cas différents certes, mais on se souvient bien de la signature d’un contrat de navires de projection et de commandement de type Mistral entre la France et la Russie de Poutine en 2011. Trois ans après, elle a annulé ce contrat sous prétexte des agissements russes en Ukraine. Irrités par cet acte, les russes se fâchent et se lâchent sur la France. Dmitri Rogozine (vice-Premier ministre), avant même la mise à exécution de la menace, déclarait déjà ceci « La France commence à trahir la confiance qu’on place en elle comme fournisseur fiable».
La Russie est peut-être loin, mais prenons le cas de notre pays le Sénégal. On se souvient encore que l’ex-ministre de l’Énergie et du Développement des énergies renouvelables Thierno Alassane Sall qui avait démissionné du gouvernement, avait justifié son acte par le fait que dans le cadre des négociations pour les explorations de pétrole et de gaz, la société française Total n’était ni 1ere, ni 2e, ni 3e ni même 4
e, mais 5e en termes d’offres. Quand il devait aller signer le contrat avec BP Cosmos (Britannique et américaine), on lui a tordu le bras au profit du français Total. Cela a dû choquer les britanniques et les américains, puisque nous le savons tous, la France n’est pas étrangère à ce revirement sénégalais à 180 degrés, elle qui profite toujours de la faiblesse des dirigeants africains pour servir ses intérêts. Pour autant, ce n’était pas la fin du monde pour britanniques et américains, malgré cet uppercut français. C’est donc une question d’intérêts, voire d’intérêts stratégiques. Chaque pays est guidé, le plus clair de son temps par ses intérêts, et on ne peut pas ne pas comprendre cela pour l’Australie.
Depuis l’annonce de la rupture du contrat, un véritable tir groupé français s’est abattu sur l’Australie et les USA au point que les moins bien avertis sont amenés à croire que la France a raison sur toute la ligne. C’est loin d’être le cas quand on y regarde de près. Nous sommes dans un véritable chaudron à la fois géopolitique et géostratégique qui ne doit pas être analysé en noir et blanc. La France dans le cadre de ce « contrat du siècle » a le droit de faire des reproches aux deux pays cités, mais il est tout aussi évident que l’Australie dont les intérêts stratégiques ne correspondent plus aux types de sous-marins fabriqués par le Français Naval Group, a le droit de dénoncer un contrat qui, dès le départ, comportait des problèmes et incertitudes bien connus des Français. Il s’y ajoute que la France n’a pas respecté les délais de livraison. Il est inutile de parler de la hausse jusqu’à presque doublement des coûts du contrat de départ. L’Australie qui, stratégiquement, ne veut plus des sous-marins conventionnels qui nécessitent de la recharge presque tous les dix ans, a préféré la technologie américano-britannique avec des sous-marins à propulsion nucléaire dont l’avantage principal est que pour toute leur durée (35 ans environ), ils n’ont pas besoin de rechargement. C’est donc encore une fois une affaire d’intérêts et surtout d’intérêts géostratégiques quand on sait qu’un nouveau pacte (AUKUS) accompagne la signature de ce nouveau contrat.
D’ailleurs, le français Charles de Gaulle ne disait-il pas que « les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts »? Si les actuels dirigeants français l’ignorent, ils l’apprennent aujourd’hui à leur dépens avec ce contrat de sous-marins avec l’Australie rompu par le gouvernement de Scott Morrison. Ce réalisme de de Gaule le français vaut pour le dirigeant australien Scott Morrison. C’est une belle leçon pour les dirigeants africains qui signent des contrats avec des États occidentaux, notamment la France, sans souvent défendre crânement leurs intérêts nationaux. Ils font rarement le poids face aux dirigeants des grands pays. Il est donc temps que nos États comprennent eux aussi, à la lumière de cette crise géopolitico-stratégique triangulaire (France-Australie-USA), que les pays n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. La France défend ses intérêts tout comme l’Australie et les USA. Les États africains aussi doivent savoir et surtout vouloir défendre dans chaque contrat signé avec les pays riches, les intérêts de leurs peuples respectifs. Ce qui, clairement, est loin d’être le cas au regard des nombreux scandales qui accompagnent souvent les contrats signés souvent à l’avantage des multinationales occidentales. Il y a donc matière à réfléchir. « Les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts ».