Pendant des décennies, la Bordelaise Janine Beauché-Brygoo a pêché et ramassé des milliers de coquillages dans l’océan indien. Elle a été la première femme à léguer sa propre collection, très bien documentée, au Muséum de Bordeaux. Celui-ci lui consacrera un focus lors des journées européennes du Patrimoine et du Matrimoine, ces 18 et 19 septembre.
Il faut imaginer la scène : sur l’eau bleu turquoise de l’île de Nosy Be à Madagascar un zodiac d’environ 7 pieds fend l’écume à 2 nœuds. A la barre, une femme met le cap vers un récif tout proche en compagnie de ses deux filles de 10 et 14 ans.
Nous sommes au début des années 70, l’activité est habituelle pour cette famille vivant sur l’ancienne colonie française de l’océan indien. Elle vient passer dans le coin ses quelques jours de vacances aussi bien pour Pâques que pour Noël. Les jeunes filles plongent avec masques et tubas pour ramasser des coquillages.
Conchyophile
De ces expéditions ludiques, mais également des séances de ramassage sur les plages de sable blanc, un ensemble de coquillages prend forme et importance sous la sensibilité de Janine Beauché, épouse Brygoo. Loin de vouloir devenir conchyophile, cette professeur de physique-chimie de métier a accumulé les spécimens pour leur esthétique.
« Elle les ramassait sur la plage ou les achetait sur les marchés, rapporte sa fille Claude. Elle les gardait pour la beauté de la coquille. Et pour nous, c’était un passe-temps pendant les vacances. Il y a pire comme vacances ! »
La benjamine de la famille Beauché-Brygoo évoque les rituels de sa mère, née à Bordeaux en 1919 et aujourd’hui âgée de 102 ans, notamment les séances de nettoyage des coquilles derrière de la maison :
« Elle les mettait dans un sac pour qu’ils pourrissent et, chaque dimanche après le repas de midi, elle s’installait sur les marches devant la maison pour les nettoyer. Je me souviens de l’odeur pestilentielle qui envahissait l’atmosphère. Rien qu’avec ça, on savait que maman s’était mise à nettoyer ses coquillages. »
La « collectionnite »
Janine Beauché a été l’une des premières bachelières du Sud-Ouest, devenue ensuite professeure de physique-chimie. Elle s’est mariée avec Édouard-Raoul Brygoo, médecin et biologiste ayant obtenu son doctorat en 1946 à l’École du service de santé des armées de Bordeaux. En 1950, il est affecté au Centre de recherches de l’institut Pasteur en Indochine, avant d’être nommé en 1954 à celui d’Antananarivo, capitale de Madagascar, en tant que directeur de 1964 à 1972.
« C’est grâce à mon père que ma mère s’est piquée au jeu de l’identification. Il avait ce côté rigoureux du scientifique et incitait ma mère à bien notifier chaque pièce de sa collection », précise Claude.
Ce travail sera fait en France. Effectivement, après les événements survenus sur l’île en 1972, la famille Beauché-Brygoo regagne l’Hexagone.
« Nous avions dans nos bagages, nos habits et nos collections, poursuit Claude. Toute la famille était atteinte de “collectionnite”. Mon père avait entre autres ses collections de crânes de petits mammifères, j’avais une collection de minéraux… nous avons tout emporté. »
Plusieurs milliers de spécimens de coquillage classés dans des caisses débarquent en France, essentiellement des cônes et porcelaines, allant d’un à sept centimètres pièce. Un travail de recherche et d’indexation est alors entamé « les week-ends et les soirs d’hiver ».
Héritage matrimonial
En novembre 2014, une partie de la collection est remise au Muséum de Bordeaux. Inventoriée, celle-ci dénombre 6650 coquillages.
« C’est une collection bien documentée en origine géographique et dates de collectes, ce qui en fait la valeur scientifique, permettant de savoir quelles espèces étaient présentes à quelles périodes », souligne Nathalie Mémoire, directrice du Muséum de Bordeaux.
Ainsi, Janine Beauché-Brygoo devient la première femme à céder sa propre collection au musée bordelais. « Une exception » pour la directrice qui rappelle que « les dons faits par des femmes concernent les collections de leur défunt mari ou de leur père, rarement leurs propres collections ».
Aussi, le parcours permanent du Muséum, intitulé « La nature vue par les hommes », est émaillé de collectionneurs, voyageurs, conservateurs, chercheurs… rarement des femmes. Quelques personnalités féminines se détachent cependant. Dix d’entre elles seront évoquées au cours d’une visite des collections qui présentera « La nature vue par des femmes ».