Un portrait de l’ami Gab (gabiel okoundgi) dans rue 89 bordeaux, en attendant celui que doit absolument lui consacrer ancrage!!
Parti de son village natal comme « pionnier de la révolution », Gabriel Okoundji s’installe à Bordeaux pour devenir psychologue, et également « apprenti poète ». Auteur d’une vingtaine d’ouvrages et récompensé par de nombreux prix littéraires, il revendique une écriture qui interroge « la responsabilité de l’humain » et espère signer une œuvre « qui vaille la peine de clore cette quête ». Cinquième portrait de notre série « Du monde en Gironde ».
Sur les étagères de la haute bibliothèque et sur la table de travail, les livres s’entrecroisent. De la fenêtre de son bureau, encadrée par de lourds rideaux blancs, on aperçoit une rue pavillonnaire. C’est ici, à Bègles, que vit Gabriel Okoundji, après avoir emprunté de nombreux chemins.
« Le destin m’a placé à Bordeaux. Je n’ai jamais réussi à quitter ce lieu pour un autre. Malgré les brûlures de la nostalgie, l’appel du pays, avec le temps, s’amenuise. »
Celui qui se définit comme « apprenti-poète » est né en 1962, à Okondo, un village au centre de la République du Congo. Son père décède tôt, il est élevé par sa mère. Une enfance entourée de femmes, qui a marqué son existence :
« Je suis issu d’une société matrilinéaire. Tout enfant est d’abord le corps de sa mère. On est mère de façon évidente, biologique. On est père de façon culturelle, par une parole de la femme. J’ai eu la chance d’être élevé par des femmes. Elles m’ont appris les chants, les contes, les paraboles… Ce fut un bain culturel et d’émotions, rendues possible par la tradition orale. »
La poésie de Gabriel Okoundji, souvent définie comme onirique et philosophique, est imprégnée de cette oralité, baignée par les voix d’Amplili et de Pampou, les conteurs du village. Entre animisme et métaphysique, il interroge la place de l’homme sur la terre et dans l’univers, célèbre la nature – une des raisons pour lesquelles il est l’invité du Climax dédié à l’Afrique ce week-end à Bordeaux.
« Force de la vie »
Dans son village, Gabriel Okoundji va à l’école jusqu’à l’âge de 12 ans. Puis, par nécessité, il devient pêcheur. Débrouillard, sa mère est fière de lui et espère le voir fonder une famille. C’est sans compter sur le cours de l’Histoire et l’arrivée du communisme dans le pays. En 1969, la République du Congo devient la République populaire du Congo. Le drapeau rouge fleurit dans les rues de la capitale, Brazzaville :
« À l’âge de 14 ans, j’ai quitté mon village. Nous, les jeunes, nous devions devenir des pionniers de la révolution. Avec d’autres enfants, j’ai été envoyé à l’école à Brazzaville. Du jour au lendemain, nous scandions des hymnes à la gloire de la révolution et du marxisme-léninisme. »
Gabriel Okoundji lit Marx, Engels et Feuerbach. Interne, il enchaîne les cours du soir :
« Sans le marxisme, malgré ses dérives autoritaires, je ne serai jamais devenu l’homme que je suis. Aucun autre membre de ma famille n’a fait d’études au-delà du BEPC. »
Alors que beaucoup de jeunes congolais sont envoyés dans des pays de l’ancien bloc communiste, Gabriel Okoundji est orienté en France pour étudier la médecine. Il aurait préféré Ponts-et-chaussées, mais ne regrette pas. Il croit « à la force de la vie qui [le] place à des endroits déterminés ». C’est ainsi qu’à 20 ans, il arrive à Bordeaux.
Poète psy
À la faculté, formé « à l’idéologie marxiste », il s’engage à l’Unef et intègre le Genepi, l’association d’aide aux détenus, récemment auto-dissoute. Il fonde également l’association culturelle des Congolais de Bordeaux. Entre-temps, Gabriel Okoundji se détourne de son cursus universitaire :
« Le système cartésien me posait problème. Voilà sans doute une des raisons de mon éloignement de la médecine. J’étais dans un paradoxe, entre la science et la poésie. Et l’homme est fait de rencontres. Ces rencontres sont des nœuds de la mémoire. C’est ainsi que je suis entré dans le monde de l’écriture et de la poésie. »
Celui qui aime la poésie d’Aimé Césaire, de Musset, ou encore de Lamartine, s’intéresse aussi à des disciplines diverses, allant des mathématiques à l’astronomie, en passant par la philosophie. Il devient psychologue clinicien et occupe depuis 2011 le poste de délégué culturel à l’hôpital Charles Perrens à Bordeaux.
Parallèlement, Gabriel Okoundji écrit. En 1996, il publie Cycle d’un ciel bleu, lauréat du prix Pey de Garros, du nom du poète gascon. S’ensuivront une vingtaine d’ouvrages et de nombreuses récompenses, dont celle du Grand Prix littéraire d’Afrique noire, en 2010, pour l’ensemble de son œuvre. Mais lors de notre rencontre, Gabriel Okoundji, humble et les yeux rieurs, n’évoque aucune de ces distinctions littéraires.
Nécessité d’écrire
Malgré sa notoriété et des écrits reconnus, il ne se définit pas poète :
« Aucune personne au monde ne peut se lever un matin en disant : je suis poète. Ce sont les autres, au travers de ce que nous sommes, qui définissent notre identité. »
Gabriel Okoundji veut se souvenir. Il fait de l’écriture une lutte contre l’oubli. « Ce qui est fondamental, dans l’humain, c’est de savoir d’où nous venons, à défaut de savoir où nous allons » confie-t-il.
« Qu’est-ce qui fait que nous en sommes arrivés là ? Il faut s’interroger sur notre part de responsabilité dans la géopolitique, qui découle d’intérêts économiques. Ce n’est pas la Chine, la Russie ou les États-Unis qui gagnent, c’est l’humain qui perd. Où est l’homme aujourd’hui ? Et si on s’était trompé ? Et si on repensait, non pas le monde autrement, mais nos actions autrement ? »
Gabriel Okoundji perçoit ainsi le poète comme observateur du monde, extirpé du chahut ambiant et de ses aliénations. Chaque jour, il apprend :
« Ça fait plus de 20 ans que j’écris, mais je ne suis pas encore arrivé à écrire le livre qui me ferait asseoir la certitude que, enfin, j’ai écrit quelque chose qui vaille la peine au point de clore ma quête. »