Par Éric Chaverou
Entretien | Ils furent les premiers le 24 août 1944 à entrer dans la capitale. Puis à défiler sur les Champs-Élysées aux côtés du général de Gaulle. Mais pendant des décennies, ces républicains espagnols, en majorité anarchistes, ont presque été oubliés. Une nouvelle fresque marque désormais leur fait d’armes.
“La Nueve”, neuvième compagnie de la 2e DB du général Leclerc, libéra Paris aux avant-postes. Dès le 24 août 1944, sous le commandement du Capitaine Raymond Dronne et d’Amado Granell, homme politique espagnol et héros de la France Libre, premier officier allié à être entré dans l’Hôtel de Ville de Paris lors de sa libération. Ces Espagnols républicains (146 hommes sur les 160 de l’unité), anarchistes pour la plupart, mais aussi socialistes et communistes, voulaient libérer le monde du fascisme. Mais le fait d’armes de ces “militaires par la force des choses” a mis des années à être (re)connu.
Membre de l’association du 24 août 1944, Ramon Pino revient sur ce très lent processus.
Les Parisiens connaissent-ils le rôle de la Nueve ?
En majorité, non. Nous avions fait un radio trottoir il y a deux ans pour interroger les passants sur la libération de Paris et nous nous étions aperçus que 9 sur 10 ignoraient la participation de républicains espagnols et pas que de ces républicains d’ailleurs. Il y a eu beaucoup d’étrangers : des Belges, des Polonais et même des Allemands antifascistes, qui étaient clandestins en France.
C’est le paradoxe avec ce fameux discours de Gaulle, juste après la libération de Paris, où il dit : “Paris martyrisé mais Paris libéré, par lui-même et par la France éternelle.” Il ne parle même pas ni des Américains, ni des Anglais. Mais quand on l’écoute, la France a été libérée par des Français. Il y a eu des résistants français mais beaucoup d’étrangers ont participé à libération de la France.
Comment est né la Nueve ? Qui exactement la formait ? Avec quelle formation et dans quel état d’esprit ? Ramon Pino raconte ce qui a débuté dans des camps de concentration français.
Eux ont pourtant été les premiers à entrer dans la capitale, le 24 août 1944, par la porte d’Italie ?
Oui, et ils bénéficient de l’aide inattendue de l’aide d’un Arménien de banlieue qui les guide dans les rues de Paris pour éviter les barrages allemands. Ils vont suivre un parcours un peu tortueux mais en une heure seulement, ils passent de la porte d’Italie à la place de l’Hôtel de Ville, sans avoir tiré un coup de feu. Il est 21h30, il va y avoir des échanges de tirs pour prendre l’Hôtel de Ville mais cela va se faire assez rapidement.
En revanche, le lendemain, il y aura d’autres combats entre autres place de la République. Quelques petits bastions de soldats allemands subsistent et il faut reprendre tous les bâtiments officiels où l’état-major allemand s’était installé. Mais le 26 août, c’est fini, malgré quelques tirs sporadiques de soldats allemands ou de Français collaborateurs.
Avaient-ils revendiqué ce privilège de libérer Paris ?
Cette libération est un événement qui a marqué le monde entier, avec des cloches qui ont sonné y compris à Buenos Aires.
Mais il faut être nuancé : ils ne se battaient pas pour la libération de la France mais pour la liberté, en libérant le monde du fascisme. Et la promesse qui leur avait été été faite oralement par le Général Leclerc, le capitaine Dronne, était qu’après avoir viré Mussolini en Italie, viré Hitler en Allemagne, on les aiderait à virer Franco en Espagne. C’était ça leur désir. Ils pensaient qu’on allait libérer l’Espagne. Cela n’a pas été le cas évidemment parce qu’on était déjà pratiquement au début de la guerre froide, les Américains ont ensuite commencé à installer des bases militaires en Espagne et Franco a obtenu en échange qu’on le laisse tranquille. Et seul le Mexique et la Yougoslavie de Tito se sont toujours refusés à reconnaître le régime de Franco.
Les hommes de la Nueve ont éprouvé une double trahison : leur rôle à Paris gommé et pas d’aide ensuite pour sauver leur pays.
Quelques uns des hommes de la Nueve• Crédits : Association 24 août 1944
A commencer par de Gaulle et pendant des années ensuite, cette opération de la Nueve est donc restée presque taboue ?
Absolument. Il fallait pour l’imagerie populaire que la France ait été libérée par des Français. Cela a d’abord été bien martelé par de Gaulle, par les gaullistes et par les communistes aussi. Il fallait que cela soit absolument une libération franco-française.
C’était un argument politique. Au lendemain de la libération de Paris, les gaullistes et les communistes sont les nouvelles forces qui occupent le devant de la scène politique. Et on ne sait pas à ce moment-là qui va l’emporter. De Gaulle était très soucieux justement de faire libérer Paris et quand il a vu l’ordre de reddition du gouverneur allemand à Paris avec à côté de la signature de Général Leclerc, il y avait également celle de Rol-Tanguy, membre du Parti communiste. Il était furieux. Il a engueulé Leclerc qui avait permis la signature d’un gouvernement communiste. On est à un moment de bascule pour le devenir de la France et d’ailleurs le gouvernement qui va être formé comportera des communistes et des gaullistes.