Après le meurtre d’Olivier Maire, prêtre connu pour sa générosité, il y a quelque chose d’indigne dans les réactions politiques qui, au nom de la défense de l’Eglise catholique et de ses valeurs, désignent Emmanuel Abayisenga comme la preuve vivante du danger migratoire.
Editorial du « Monde ». « La douleur et la colère sont souvent très proches », écrit Dominique Lebrun, archevêque de Rouen, réagissant au meurtre, lundi 9 août, du père Olivier Maire, supérieur provincial de la congrégation des missionnaires montfortains à Saint-Laurent-sur-Sèvre (Vendée). De la douleur, cette tragédie ne peut qu’en susciter : la victime, âgée de 60 ans, était connue pour sa générosité, son attention aux plus pauvres et son ouverture au monde. La communauté qu’il dirigeait avait ouvert ses portes à Emmanuel Abayisenga, son meurtrier présumé, lui permettant même de sortir de prison à la fin mai en garantissant le respect de son contrôle judiciaire, après que ce demandeur d’asile rwandais eut reconnu avoir mis le feu à la cathédrale de Nantes, en juillet 2020.
Mais la colère et, a fortiori, son exploitation au service de la haine, c’est précisément ce que le message chrétien prétend aider les humains à combattre. Il y a donc quelque chose d’indigne dans les réactions politiques qui, au nom de la défense de l’Eglise catholique et de ses valeurs, désignent Emmanuel Abayisenga comme la preuve vivante du danger migratoire et en profitent pour fustiger le prétendu laxisme gouvernemental en la matière. Lorsque Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national, dénonce « la faillite complète de l’Etat et de Gérald Darmanin », lorsque Laurent Wauquier, président de région Auvergne-Rhône-Alpes, affirme que « cet homme n’aurait jamais dû entrer en France », ils prétendent défendre la mémoire du prêtre tué. En réalité, ils la trahissent en se livrant à une basse récupération politique.
On peut lire la terrible destinée du père Olivier Maire comme une parabole du message biblique qui considère l’accueil de l’autre comme une vertu cardinale. En ouvrant sa porte sans condition à un étranger en situation irrégulière, probablement malade psychiatrique, jusqu’à y perdre la vie, le missionnaire a fait preuve de courage, mais il a aussi porté et vécu jusqu’au bout ses convictions et son expérience chrétiennes. Cela dans la droite ligne du pape François, qui prêche l’accueil des migrants sans distinction entre migration économique et politique.
Personne gravement déséquilibrée
Depuis son arrivée à Nantes, en 2012, Emmanuel Abayisenga, catholique fervent, avait d’ailleurs bénéficié de la protection de toutes les structures de l’Église, sans que personne ne leur reproche d’enfreindre la loi. Les arrêtés de reconduite à la frontière qui l’avaient visé, annulés par le tribunal administratif ou faisant l’objet d’un recours en instance, ne permettaient pas son expulsion. A fortiori depuis qu’il était impliqué dans l’incendie de la cathédrale et attendait d’être jugé. Si faille il y a, c’est sans doute dans le suivi psychiatrique d’une personne manifestement gravement déséquilibrée.
Il y a tout juste vingt-cinq ans, à l’été 1996, des immigrés africains sans papiers trouvaient refuge à l’église Saint-Bernard, à Paris, d’où leur expulsion par la police allait faire scandale. L’époque a changé et les chrétiens français – et les Eglises elles-mêmes – sont aujourd’hui davantage divisés entre ceux, de plus en plus bruyants, pour qui le rejet de l’immigration passe avant l’hospitalité, et ceux pour qui prime l’accueil du prochain. Le meurtre du père Olivier Maire souligne brutalement cette faille. Mais il ne s’agit ni d’un drame consécutif à la « naïveté » de chrétiens trop généreux ni d’une faillite de la France. Plutôt une allégorie, terriblement traumatisante, d’un engagement religieux intégral, qui force l’admiration.
Le Monde