En l’espace de dix jours, les expulsions se sont multipliées à Bordeaux. Après l’évacuation le 21 juillet des squats de l’Eclaircie à Gradignan, hébergeant 130 personnes, c’était au tour de « La chatière » au Bouscat, abritant une dizaine de personnes, de se voir mettre à la rue sans solution de relogement, mercredi 28 juillet. Une situation qui fait écho à celles des deux squats de Belcier expulsés la même semaine, l’un rue Morin, et l’autre Rue Terre de Bordes, dans le périmètre du projet Euratlantique. La saison des expulsions estivales s’ouvre ainsi, menaçant des dizaines de précaires de finir à la rue, en pleine crise sanitaire.
Observatoire social et du travail Bordeaux
jeudi 5 août
Le Mercredi 28 juillet vers 8 heures du matin, les habitants du squat “La Chatière” situé au 14 rue Prévost au Bouscat, ont vu arriver des camions de déménagement ainsi que les forces de l’ordre accompagnés d’un huissier pour procéder à leur expulsion. Ceux-ci se trouvaient dans une maison appartenant à la métropole de Bordeaux, non utilisée et à l’abandon depuis plusieurs années, avant son occupation en septembre 2020. Le bâtiment aurait été affilié au Comité des œuvres sociales (COS), organisme chargé de missions d’intérêt social à destination des agents de la fonction publique territoriale, il y a de cela une dizaine d’années environ, avant son abandon.
Depuis lors, cette occupation a permis à plusieurs personnes de divers horizons d’obtenir un toit, avec une capacité d’accueil de dix personnes simultanément. Un droit au logement nié par les collectivités locales, malgré les moyens qui ne manquent pas sur Bordeaux qui compte plus de 22 000 logements vides sur sa métropole et que les mairies auraient la compétence de réquisitionner.
Cette énième expulsion s’inscrit dans la lignée de ce que l’on appelle désormais “la politique de résorption des squats”. Un joli tour de passe-passe linguistique suggérant l’insertion sociale des habitants de ces lieux, permettant de ne plus parler d’expulsions et de mises à la rue des franges les plus précaires de la population.
En réalité, c’est bien une dizaine de personnes supplémentaires qui ont été mises à la rue ce matin-là, sans ménagement ni aucune solution de relogement. Leurs biens, entassés et parfois jetés brutalement dans des camions, sont partis direction Noaillan, à plus d’une heure de route de Bordeaux, pour être stockés dans un box pour une durée d’un mois. Leurs propriétaires doivent convenir d’un unique rendez-vous pour tout récupérer, sans quoi ils seront détruits ou mis aux enchères. Aucune évaluation sociale n’a eu lieu pour s’enquérir de la situation des occupants, malgré le discours sur la “résorption” avancé par la Préfecture, qui sous-entendrait d’accompagner ces personnes dans leurs parcours pour obtenir un toit.
L’été : saison des expulsions
En plus de « La Chatière », une série d’expulsions est en cours, ouverte par l’évacuation des squats de l’Eclaircie et la Vie est belle à Gradignan par la Mairie de Bordeaux le 21 juillet dernier, et qui logeaient jusqu’à 130 personnes. Deux autres squats ont été évacués à Belcier, dont un Rue Morin, le vendredi 23 juillet. Occupé depuis près de trois ans, ce bâtiment qui appartiendrait à un particulier abritait au moment de l’expulsion une trentaine de personnes majoritairement demandeurs d’asile, d’origine guinéenne et malienne, actuellement sans domicile fixe.
Non loin de la, Rue des Terres de Bordes, un autre bâtiment a également été expulsé et c’est cette fois une quinzaine de personnes qui se sont retrouvées dehors sans que cela n’alerte personne et ne fasse l’objet d’une couverture médiatique dans la presse.
Pour ces deux bâtiments là également, aucun diagnostic et aucune volonté d’accompagnement social n’ont été mis en place. Les habitants n’ont même pas eu droit de récupérer leurs biens, ni de disposer d’un box.
Ces squats se situaient dans le périmètre du projet de ZAC Saint-Jean Belcier, dans le cadre des aménagements menés par Euratlantique, visant à rendre Bordeaux plus compétitive à l’échelle des villes européennes.
Il est intéressant de jeter un œil sur la composition de la gouvernance d’ Euratlantique pour constater que son conseil d’administration compte la préfète Fabienne Buccio ainsi que le maire de Bordeaux Pierre Hurmic, qui sous un vernis progressiste et écologiste se fait actuellement le relais des expulsions, à commencer par celle de l’Eclaircie à Gradignan sur les terrains appartenant au CCAS de Bordeaux.
Le Kabako toujours menacé
D’autres squats bordelais sont encore menacés d’expulsion à court terme tel que le Kabako Rue Camille Godard, un squat abritant des mineurs non accompagnés (MNA). Ces jeunes n’ont pas encore été reconnus légalement mineurs, et en absence de cette reconnaissance, ne peuvent bénéficier de la protection de l’enfance par le département. Expulsable depuis le 5 juillet, les habitants sont dans l’incertitude constante : malgré les demandes récurrentes d’informations faites aux départements et à la préfecture par les bénévoles s’impliquant dans la vie de ce squat, ils affirment n’avoir à ce jour aucune information quant à la date de l’expulsion. Pourtant, le bâtiment du Kabako appartient également au département !
Bien sûr, les expulsions en série pendant l’été s’appliquent partout en France comme par exemple à la Maison du Peuple à Nantes expulsée au même moment que la Chatière. Les exemples sont évidemment trop nombreux pour être cités de manière exhaustive.
La crise sanitaire comme facteur aggravant
Comme chaque année, quand les beaux jours se présentent, le verrou juridique de la trêve hivernale qui subsiste encore pour certains types de squats et qui permet aux occupants de souffler un instant n’est plus opérant. Une trêve hivernale qui ne s’applique pas à tout occupant de squat, puisque dans le cas d’expulsions non locatives, il n’en est pas prévu l’application systématique. Les collectivités profitent également de la relative accalmie politique, médiatique et militante qui caractérise l’été pour opérer ces expulsions en évitant trop de résistances.
Contrairement aux clichés véhiculés, il semblerait que les demandes d’expulsions de lieux privés, (domicile principal ou secondaire) soient en réalité minoritaires. Malgré le peu de statistiques sur le sujet, la totalité des demandes d’expulsions de logements squattés (en dehors de la catégorie des expulsions locatives, pour impayés par exemple) s’élevait en 2019 à seulement 1,2% du total des procédures engagées sur l’année.
Une grande part des lieux squattés semble donc appartenir entres autres, à des mult-ipropriétaires, des organismes tels que les bailleurs sociaux ou des SCI, qui laissent des bâtiments inoccupés souvent pour spéculer sur le prix de l’immobilier. Ces précaires occupent généralement des bâtiments laissés à l’abandon : un phénomène qui devrait s’aggraver avec la crise économique et la montée du chômage, laissant de côté les franges les plus précaires de la population.
Alors que s’ouvre une nouvelle saison des expulsions, en pleine crise sanitaire et sociale, nous devons plus que jamais revendiquer le droit à un toit, par la réquisition des logements vides qui participent à la spéculation immobilière et à la gentrification, afin d’offrir un logement pérenne à tous ceux et celles qui en ont besoin.
Parce qu’une grande partie des habitants de ces squats, parmi les plus précaires de notre classe, sont en situation irrégulière, nous exigeons la régularisation de toutes et tous et la liberté de circulation et d’installation, alors que ces flux migratoires sont provoqués par l’ingérence impérialiste notamment dans les pays d’Afrique et du Moyen-Orient. En cette période d’augmentation du chômage et de la pauvreté, les organisations de défense des travailleurs doivent s’emparer de la question du mal logement afin que les rangs des sans-abris cessent de gonfler.