Conflits et relations internationales
Après l’annexion de l’Alsace-Lorraine par la Prusse à la suite de la guerre de 1870, de nombreux habitants de la région choisissent de partir. La presse, habitée par l’esprit de revanche, va faire de leur exode une cause nationale.
1871. La France vient d’essuyer une défaite cuisante face à la Prusse. Le traité de Francfort spécifie qu’elle doit céder toute l’Alsace (sauf Belfort), et une partie de la Lorraine à sa rivale d’outre-Rhin. Une annexion qui va avoir une conséquence de poids pour les habitants : la Prusse autorise ces derniers à garder la nationalité française… À condition qu’ils quittent le territoire avant le 1er octobre 1872.
Une décision relativement clémente, comme le reconnaît à contrecœur une presse française profondément anti-germanique, qui vit la perte de l’Alsace-Lorraine comme un traumatisme. Le Petit Journal commente ainsi :
« La Prusse, par un semblant de pudeur pour l’esprit moderne, de respect pour la dignité humaine, qui ne permettent plus qu’on fasse la conquête d’une population comme celle d’un troupeau de bœufs, a admis le droit d’option pour les provinces conquises. »
Pourtant, l’exil des quelques dizaines de milliers d’Alsaciens-Lorrains qui choisissent la France (les « optants ») va rapidement devenir un symbole de l’iniquité prussienne, cristallisant le désir de revanche de la nation française humiliée.
Parmi les migrants, nombreux sont ceux qui s’installent autour de Belfort, ou à Nancy, restée française. Mais un certain nombre d’entre eux iront plus loin, à Paris, au Havre, à Lyon, à Bordeaux, voire en Argentine et au Québec. Promus cause nationale, les optants vont voir leur sort fortement médiatisé pendant les années qui suivent l’annexion.
Neuf jours après la date limite du 1er octobre, Le Petit Journal écrit :
« Tous ceux qui ont pu opter pour la nationalité française l’ont fait avec empressement et pendant les derniers jours du mois écoulé, les émigrants nous sont arrivés par milliers, fuyant le joug prussien. Ils sont partis à l’aventure, abandonnant tout, et se confiant à la générosité de la mère-patrie.
La mère-patrie remplira dignement le noble devoir qui lui incombe […]. Les ressources de la France sont inépuisables et son cœur est à l’épreuve de la lassitude, lorsque la charité intercède en faveur des malheureux, surtout des malheureux qui souffrent pour rester Français.
Aussi assistons-nous depuis huit jours à ce spectacle touchant qui s’est si souvent renouvelé depuis nos malheurs. Toutes les classes de la société se confondent pour venir en aide aux Alsaciens-Lorrains que l’option a laissés sans ressources. »
La Société de protection des Alsaciens-Lorrains, dans le journal conservateur Le Gaulois, peint un tableau accablant de l’exode :
« Parmi ces infortunés, on compte une infinie quantité de jeunes gens qui affluent, effarés et dénués de toute ressource, aux gares des villes où ils sont assurés de ne plus rencontrer des soldats prussiens.
S’il faut en croire, en effet, des rapports que nous considérons comme injurieux pour nos anciens adversaires, il serait question de saisir violemment et de faire reconduire militairement de l’autre côté de la frontière tous ces pauvres enfants qui peuvent tomber un jour ou l’autre sous le coup de la conscription allemande.
Ils s’étaient déjà dérobés au joug des vainqueurs de leur pays ; ils sont, à l’heure qu’il est, réduits à fuir encore plus loin afin de n’être pas enrôlés sous un drapeau qu’ils détestent, et retombent ainsi pour la seconde fois à la charge de leurs compatriotes. »
À Lyon, des mesures spéciales sont prises par la municipalité :
« Le maire de Lyon a l’honneur d’inviter les administrations particulières, les industriels, les commerçants, les propriétaires et les cultivateurs de Lyon et de la banlieue, de vouloir bien, dans la mesure du possible et selon les besoins actuels de leurs exploitations, utiliser les bras des Alsaciens et Lorrains de passage en grand nombre dans notre ville, où la plupart se trouvent sans ressources, sans travail, ni emploi.
Le patriotisme et la générosité de la population lyonnaise ne resteront point sourds à cet appel. »
Aux « optants », on va même donner des territoires en Algérie, alors colonie française. Ce qui va créer quelques problèmes, comme l’indique Le Journal des débats du 17 décembre :
« Un état récemment communiqué par la préfecture fait connaître que 127 familles, composées de 747 personnes, ont été pourvues de concessions territoriales dans onze centres de population. Mais un nombre beaucoup plus considérable de familles attend encore des attributions de terres et reste à la charge de l’assistance publique.
L’administration fournit les vivres et les logements ; la générosité inépuisable des comités privés pourvoit aux autres besoins. La tâche est lourde, sans lasser le zèle de personne. »
À Noël, tandis que le sapin devient l’emblème de la diaspora alsacienne, on se presse, à Paris, pour recueillir des jouets à offrir aux petits exilés :
« Il n’est pas de famille quelque peu aisée où l’on ne puisse réunir des poupées, des polichinelles, des boîtes de soldats, des arches de Noé, un peu détériorés ou dépareillés, et que l’on a mis au rebut la veille du jour de l’an, à l’époque où le trésor des enfants se renouvelle. »
L’esprit de revanche et le souvenir de l’humiliation de 1871 se perpétueront jusqu’à la Première Guerre mondiale, et avec eux le rappel régulier de la situation des migrants. En 1911, un journal, L’Alsacien-Lorrain de Paris, est créé, promettant dans son premier éditode faire revivre « l’âme de la petite patrie perdue » en délivrant nouvelles du pays et actualités des Alsaciens-Lorrains exilés.
L’Alsace-Lorraine redeviendra française en novembre 1918, à la signature de l’Armistice. Environ 200 000 Allemands résidant sur le territoire seront contraints de le quitter. Et de nombreuses familles d’Alsaciens-Lorrains, ayant fui après 1871, effectueront le chemin inverse.