Il a été l’un des premiers à attirer l’attention du public sur les questions de vie privée et de surveillance au Maroc. Sa récompense? Des accusations de « menace à la sécurité intérieure de l’Etat ».
Dans une interview vidéo de juin 2014 avec l’organisation Privacy International, Hisham Almiraat a parlé de ce que la vie privée signifie pour lui. Vous ne pouvez pas innover, vous ne pouvez pas vous émanciper tout en sachant que quelqu’un regarde par-dessus votre épaule.
Hisham Almiraat, un médecin de profession, a commencé à bloguer en 2007. Un inconditionnel passionné de la puissance de l’Internet à transformer le monde autour de lui, il a adhéré à Global Voices, une communauté internationale de blogueurs, de journalistes citoyens et de traducteurs de 167 pays, dans laquelle les contributeurs rapportent des histoires de leur propre pays.
Lorsqu’en 2001 les manifestations du Printemps arabe ont commencé à s’étendre de la Tunisie aux alentours du Maroc, Almiraat vivait et étudiait à Rouen, en France. Déçu par le manque de couverture médiatique de la part des médias locaux et le manque d’intérêt des médias internationaux pour un mouvement parti de la base et conduit par des jeunes appelant aux reformes dans le royaume, il a décidé de prendre les choses en main. Ensemble avec un groupe d’expatriés marocains qui pensaient comme lui et fort de ses trois années d’expérience en journalisme citoyen, Almiraat a lancé le Siteweb Mamfakinch.
Traduction en arabe marocain de « Nous n’abandonnerons pas », Mamfakinch était plateforme de médias citoyens dédiée à donner la parole aux militants sur le terrain dans le plus de villes et de villages possible du Maroc. Le Siteweb est très vite devenu la source incontournable des nouvelles sur les manifestations de masse balayant le pays et son nom est devenu plus tard un mantra de rue.
À l’été 2012, peu après avoir remporté le Prix Google Breaking Borders (Le Prix Google briser les frontières), tous les quinze membres de l’équipe éditoriale de Mamfakinch ont été visés par un logiciel espion sophistiqué qui permet à celui qui attaque d’obtenir un accès à distance complet aux ordinateurs des personnes ciblées. Secoués par une telle attaque intrusive, des volontaires ont progressivement abandonné le projet et, au début de 2014, la plate-forme était devenue inactive.
Almiraat, qui était à ce moment-là directeur du plaidoyer à Global Voices, a alors fondé l’Association marocaine des droits numériques (ADN), une organisation consacrée aux questions de vie privée et de surveillance au Maroc et s’est mis directement au travail.
En mars 2015, en partenariat avec le membre de l’IFEX, Privacy International, l’une des premières organisations à mener au niveau international sur la problématique de la vie privée, ADN a publié un rapport détaillé et révélateur sur les méthodes de surveillance utilisées par les autorités au Maroc.
Le rapport a été tellement explosif que le ministère de l’Intérieur a lancé une enquête sur un « groupe non identifié à la base d’un rapport accusant les services de renseignement d’espionner des activistes et des journalistes ». Almiraat a tout de suite pensé que ce groupe « non identifié » ne peut être qu’ADN.
En mai de cette même année, les autorités ont cherché à empêcher une conférence de presse organisée par ADN en vue de présenter les conclusions de son rapport. Un mois plus tard, Almiraat a de nouveau rencontré des difficultés avec les autorités lorsque la police a interrompu une session de formation de quatre jours organisée par le groupe néerlandais non gouvernemental Free Press Unlimited (FPU). Almiraat et d’autres ont été interrogés sur le programme et sur leurs relations avec FPU.
En novembre 2015, Almiraat était en proie à une nouvelle lutte – aux conséquences personnelles sérieuses. Avec sept autres activistes de la société civile, des journalistes et des défenseurs des droits humains, Almiraat a été accusé de « menacer la sécurité intérieure de l’Etat » et envoyé en procès le 27 janvier 2016. Deux autres personnes sont condamnées à des amendes pour avoir « reçu des fonds étrangers sans en informer le Secrétariat général du gouvernement ».
Les accusés croient qu’ils sont ciblés pour avoir participé, en juin, à l’atelier de juin 2015 dirigé par la FPU. Un appel international, signé par 19 groupes de la liberté de la presse et de la société civile, a exigé des autorités l’abandon des accusations et la fin du harcèlement de tous les militants des droits humains et des journalistes au Maroc. Le hashtag #Justice4Morocco est depuis utilisé pour battre campagne au nom des défendeurs.
Au 27 janvier 2020, le procès avait été reporté 18 fois, selon Kamel Labidi, directeur de l’association membre de l’IFEX, Vigilance for Democracy and the Civic State. La prochaine audience du tribunal est prévue pour le 27 mai 2020.
La liberté d’expression et le journalisme indépendant au Maroc continuant de regresser ces dernières années, le procès est largement considéré comme politiquement motivé dans le but de faire taire les accusés critiques par le harcèlement judiciaire. Selon un éminent journaliste marocain et l’un des accusés Hicham Mansouri, les reports continus indiquent l’absence d’une affaire substantielle et est une technique largement utilisée par le régime pour décourager et terroriser les critiques.
Illustration de Florian Nicolle