2 juin 2021 Salaheddine Lemaizi
Le procès des journalistes Radi et Stitou retient l’attention. Pour que l’opinion publique se fasse une idée sur son déroulement, voici le compte rendu de la 4ème audience de ce nouveau procès du journalisme indépendant au Maroc.
Nous sommes le 1Er juin 2021, il est 10h30 à la Cour d’appel de Casablanca. Pour accéder, au palais de justice, c’est le chemin de croix. Il faut montrer patte blanche et accepter qu’une personne en civil prenne en photo ta carte professionnelle sans qu’on sache à quel « service » il appartient. Passons…
La quatrième audience de l’affaire n°577/2624/2021 a démarré depuis quelques minutes. Les deux accusés, Omar Radi et Imad Stitou, sont à la barre. Le premier est poursuivi pour « viol » (art.485 et 486) et pour « atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat » avec « financement de l’étranger » (art.191 et 206 ). Le deuxième accusé est poursuivi pour « viol » (art.129 et 486). La plaignante ne s’est pas présentée à la séance, une nouvelle fois.
L’audience d’aujourd’hui est consacrée aux vices de forme. La défense des deux accusés se succèdent durant plus de quatre heures pour invalider les PV de la police judiciaire, la décision du juge d’instruction et les poursuites dans leur ensemble. Les avocats soulèvent moult incohérences et remarques pour non-respect de la procédure. Ces violations répétées du Code de procédure pénal jettent, une nouvelle fois, de sérieux doutes sur la volonté de l’appareil judiciaire à faire bénéficier Radi et Stitou de leur droit à un procès équitable.
Ambiance dans la salle n°8
Juge Torchi préside la séance. Ce magistrat expérimenté est habitué au « procès politique ». Il a déjà jugé par le passé plusieurs procès médiatisés dont le dernier en date est celui du Hirak avec le groupe de Nasser Zefzafi.
La salle est équipée de deux écrans géants. On aperçoit Omar Radi. Il porte une chemise de couleur vert bouteille. Il a mauvaise mine. Barbe de plusieurs jours et une crinière aux cheveux bouclés. Le journaliste a perdu 18 kg, sa silhouette frêle témoigne des dégâts de 21 jours de la grève de la faim qu’il a mené. L’audience s’annonce longue pour le détenu d’opinion dont l’état de santé est fébrile. Radi garde son éternel sourire, malgré tout.
Dans la salle, une dizaine d’avocats sont présents pour soutenir les accusés. Des représentants d’organisations de défense des droits humains et un membre de la Commission régionale des droits humains (CRDH) sont également présents. La famille et quelques journalistes sont aussi dans la salle. A cela s’ajoute trois avocats de la partie civile. Également présents, plusieurs agents de divers services de renseignement qui notent tout sur le déroulement de l’audience. Ils sont aidés par certains journalistes au service des flics.
Quatre vices de formes ont été présentés par les avocats de la défense. Ces points remettent en cause le contenu et la solidité de toute l’instruction.
- Le juge d’instruction a commis « une catastrophe judiciaire »
Durant huit mois, (entre aout 2020 et mars 2021), le dossier a été instruit longuement par le juge d’instruction, Abdelouhed Majid. Il était sensé conduire sa propre enquête sur les faits reprochés aux accusés sur la base de simples PV de la PJ et déclarations de la plaignante. Or, dans les faits cette étape décisive s’est avérée une enquête à charge contre Radi et ensuite Stitou. Tout a été fait pour construire un dossier incriminant les deux journalistes. La plaignante et ses avocats ont eu tout leur temps pour présenter différentes « preuves » et un « témoin ». La défense a été traitée par « malveillance par le juge d’instruction », selon les propos des avocats. La transformation de Stitou de témoin à co-accusé de viol résume la stratégie menée par ce juge. Ce qui pousse Me Kandil de la défense, connu pour sa prudence et sa modération, a qualifié cette étape de « catastrophe judiciaire ». Et de conclure : « Il faut respecter le droit et notre intelligence ».
- Des certificats médicaux de la plaignante ajoutés au dernier moment
Parmi les nombreux griefs de la défense, l’ajout à la dernière minute de pièces au dossier de l’instruction, sans notifier la défense. Il s’agit précisément de certificats médicaux. Donc à priori de pièces déterminantes dans ce dossier. Sauf que lors des auditions de la plaignante par le juge d’instruction elle n’a jamais présenté de documents de ce type. Il a fallu attendre 3 mois après son passage chez le juge pour présenter ces certificats qui seront « ajoutés sournoisement dans le dossier », accuse Me Kendil. La défense a demandé de retirer ces documents du dossier.
- Un témoin mystérieux amené de San Francisco en catimini…
Ce point problématique pourrait annuler toute cette procédure judiciaire si nous étions dans un procès équitable et face à une justice indépendante. Rappel des faits : La plaignante avance qu’elle était en communication sur WhatsApp avec « son fiancé », H.A.B le 13 juillet 2020, quelques instants avant le « viol » présumé. H.A.B. vit à San Francisco. Les avocats de la plaignante ont exigé qu’il témoigne devant le juge. Le 08 aout 2020 et en pleine période de vacances judiciaires, il viendra des Etats-Unis et il sera interrogé par le juge comme premier témoin dans cette instruction. Me Kandil est scandalisé par ses méthodes :
« C’est une grave violation du Code des procédures pénales. La défense n’a été jamais contactée par le juge pour assister à cette audition. Personne n’a daigné nous informer. Nous nous interrogeons sur les raisons de cet acte délibéré. Ce témoignage doit être recalé et nous sommes prêts à l’interroger une nouvelle fois dans le cadre du procès ».
Me Kandil, de la défense.
H.A.B. a été le premier témoin à être auditionné, avant même l’accusé (Radi) et la plaignante. Les autres témoins n’ont été auditionnés qu’à partir de décembre 2020. Dans ce procès exceptionnel, les méthodes mobilisées sont perfides.
- …Et un témoin présent à Bouskoura refusé !
« Comment se fait-il qu’on accepte le témoignage d’une personne qui n’a pas été présent sur place et on refuse à la défense d’apporter le témoignage d’un autre personne présente le jour des faits présumés ? »
Me Messouadi de la défense.
Y.T, collègue des accusés à Le Desk a été présent le jour des faits. Il a été convoqué par la Gendarmerie royale en juillet 2020, avant que cette dernière ne décide de ne plus l’auditionner car « la procédure a été bouclée ». La défense demande qu’il soit entendu par le juge d’instruction. Cette requête sera refusée par le juge Majid ! Résumons : un témoin à charge ayant assisté, selon ses dires à une partie des faits via WhatsApp peut être auditionné, même durant les vacances judiciaires, alors qu’un témoin à décharge, présent sur les lieux des faits, habitant au Maroc est refusé à maintes reprises. Les mêmes interrogations sont à poser sur le cas Stitou qui a vu son statut dans ce procès passé de témoin à co-accusé. Procès équitables, dites-vous ?
Demandes cruciales de la défense
Le procès a été reporté pour le mardi 8 juin à midi, suite à la demande de la défense de Radi. Ce dernier ne pouvait plus poursuivre le procès en raison de son état de santé fragile. Des discussions malheureuses ont encore une fois eu lieu sur ce sujet. Le représentant du parquet a une nouvelle fois persisté dans le déni, renvoyant la balle aux médecins, « seuls aptes à décrire l’état de santé de l’accusé ». Radi ne demande pas autre chose.
« Je demande un suivi médical quotidien spécialisé pour pouvoir me rétablir et être en possession de tous mes moyens. […] Mr Le Juge, mais si vous décidez de poursuivre l’audience dans ces conditions, je n’y peux rien لله غالب«
Omar Radi, accusé.
Radi est en détention provisoire et donc sous l’autorité du parquet depuis dix mois. Et rien de concret et de sérieux n’a été fait dans ce sens pour répondre aux demandes de Radi et sa famille.
L’audience s’est terminée par la formulation des demandes suivantes de la défense :
- Réalisation d’une expertise médicale et psychiatrique sur la plaignante, en toute impartialité.
- Convocation de TOUS les témoins interrogés durant l’enquête du juge d’instruction, dont H.A.B, ainsi que Y.T.
- Liberté provisoire et immédiate pour Radi
Le juge Torchi livrera sa décision ce jeudi 3 juin. La demande n°2 est cruciale pour garantir un procès équitable.
En somme, l’appareil judiciaire est une nouvelle fois face à un sérieux test pour montrer une once d’indépendance face à l’appareil sécuritaire. Durant les prochaines semaines, nous suivrons cette affaire et nous rendrons compte des différentes péripéties de ce procès contre le journalisme indépendant.
S. Lemaizi