Les candidats indépendants, pour beaucoup issus des mouvements sociaux, et la gauche alternative sont les grands gagnants du scrutin visant à installer la nouvelle assemblée constituante. La droite au pouvoir subit une lourde défaite.
par Justine Fontaine, Correspondante au Chili
publié le 17 mai 2021 à 8h41
Une assemblée bien plus représentative de la société chilienne. Pour la première fois de son histoire, le Chili élisait ce week-end une «convention constitutionnelle», pour remplacer la Constitution actuelle, héritée de la dictature du général Augusto Pinochet (1973-1990). L’assemblée constituante élue est d’une diversité «jamais vue» auparavant, s’est félicitée dimanche Claudia Heiss, enseignante-chercheuse en sciences politiques à l’Université du Chili, à Santiago.
Modèle social-démocrate
D’après des résultats préliminaires rendus publics dans la nuit de dimanche à lundi, les candidats indépendants, dont beaucoup sont issus des mouvements sociaux nés ces dernières années, obtiendraient un peu moins d’un tiers des 155 sièges. Malgré la forte défiance envers les partis politiques au Chili (2 % d’approbation seulement, d’après plusieurs sondages publiés ces derniers mois), «personne n’avait prévu un tel score des indépendants», souligne Claudia Heiss. En revanche, la participation n’aurait atteint que 41 % environ, soit dix points de moins que lors du référendum de l’automne ayant ouvert la voie à la constituante.
Les gauches emportent un autre tiers de l’hémicycle, grâce au bon score des partis de gauche alternative (le jeune «Frente amplio», ou «Front large», et le Parti communiste), et malgré un recul des partis de gauche traditionnels, au pouvoir pendant près de vingt ans après le retour à la démocratie.
Dans leur majorité, gauches et indépendants sont anti-néolibéraux, et s’ils parviennent à des accords transversaux, ils pourraient mener le pays vers un modèle plus proche de la social-démocratie. En effet, au sein de la future assemblée constituante, les décisions seront prises à la majorité des deux tiers des voix, et le pouvoir de veto de la coalition de droite au pouvoir «Vamos Chile» («Allez le Chili»), qui n’a obtenu que 24 % des sièges, sera limité.
Cette constituante était l’une des principales demandes du mouvement social qui a éclaté au Chili en octobre 2019, contre les inégalités sociales et le modèle économique néolibéral imposé sous la dictature. Le 25 octobre dernier, les Chiliens avaient voté à 78 % pour la rédaction d’une nouvelle loi fondamentale.
Des sièges réservés aux peuples indigènes
«Les citoyens nous ont envoyé un message clair, à nous et à toutes les forces politiques traditionnelles», a reconnu le très impopulaire président Sebastián Piñera dimanche soir, depuis le palais de la Moneda. «Nous ne sommes pas suffisamment en phase avec les demandes et aspirations des citoyens», a-t-il ajouté, très critiqué pour avoir accordé trop tard, trop peu d’aides sociales aux Chiliens pendant la pandémie et les confinements successifs.
C’est également une première au Chili : 17 sièges sur 155 seront réservés aux peuples indigènes. Ces constituants espèrent que les droits des personnes indigènes seront pleinement reconnus dans la future Constitution, et, pourquoi pas, que le Chili devienne un «État plurinational», comme la Bolivie voisine.
Enfin, l’assemblée constituante sera composée de presque autant de femmes que d’hommes, à un siège près, grâce à un mécanisme électoral inédit garantissant la parité. Plusieurs candidates ayant obtenu de très bons scores dans leurs circonscriptions ont même dû laisser leur place à des hommes pour garantir le respect de la parité.
Les élections municipales et régionales, qui se tenaient également ce week-end ont confirmé l’avancée des gauches : une candidate communiste et féministe a créé la surprise à Santiago en battant sur le fil le maire sortant, issu d’une dynastie politique. Dans la région de Valparaiso, Rodrigo Mundaca, militant de longue date contre la privatisation de l’eau imposée sous la dictature, a lui été élu gouverneur dès le premier tour.