Par Leslie Carretero Publié le : 23/03/2021
Depuis environ un mois, les contrôles à la frontière franco-espagnole se sont intensifiés. Selon les associations, les migrants, “traqués par la police”, prennent de plus en plus de risques pour atteindre la France. Les humanitaires redoutent un drame, d’autant que certains exilés tentent désormais de rejoindre l’Hexagone en traversant la rivière Bidassoa à la nage.
“Refoulements illégaux”, “traque”, “chasse à l’homme”, “violation des droits”… Les mots utilisés par les associations locales pour décrire la situation à la frontière franco-espagnole sont forts. Depuis un mois, les humanitaires observent une présence de plus en plus importante des forces de l’ordre. “Il y a toujours eu des contrôles mais à ce point-là, jamais ! On a même vu des militaires déambuler dans les villages”, raconte Lucie Bortaitu de l’association bayonnaise Diakité.
Début novembre, lors d’une visite dans les Pyrénées, le président Emmanuel Macron avait annoncé le doublement des effectifs aux frontières françaises pour lutter contre la menace terroriste, les trafics et l’immigration illégale.
À cela s’ajoute la fermeture, début janvier, de 15 points de passage sur les 650 kilomètres de frontière qui séparent l’Espagne de la France pour contenir la pandémie de Covid-19. Cette surveillance renforcée 24h/24 mobilise 230 policiers et militaires.
Mais pour les associations, le principal enjeu est de limiter l’arrivée de migrants dans l’Hexagone. “Les autorités françaises utilisent l’excuse de la crise sanitaire mais en fait le but premier est le contrôle migratoire”, estime Ion Aranguren, de l’association espagnole Irungo Harrera Sarea, active du côté d’Irun. “C’est clairement pour lutter contre l’immigration illégale : seuls les Noirs sont constamment contrôlés par les policiers”, renchérit Lucie Bortaitu.
Des refoulements quotidiens
Depuis plusieurs semaines, selon les humanitaires, les migrants sont “traqués” sur la route, dans les trains et dans la rue. À Hendaye, les gendarmes sont même entrés dans le jardin d’un particulier pour y extraire un exilé venu se cacher de la police, rapportent les bénévoles. Des migrants ont aussi été arrêtés au-delà des 20 kilomètres de la frontière, un rayon dans lequel les contrôles d’entrée sur le territoire sont autorisés. Plusieurs personnes ont ainsi été interpellées à Bordeaux à leur descente du train et expulsées en Espagne.
D’autres migrants racontent avoir été interpellés, puis envoyés dans les locaux de police avant d’être expulsés à la frontière au beau milieu de la nuit. “L’autre jour, on a appris que cinq femmes avaient été déposées à Behobia [ville espagnole frontalière située à quelques kilomètres d’Irun, ndlr] tard le soir. On les lâche là au milieu de nulle part, loin des associations et alors qu’un couvre-feu est aussi en vigueur en Espagne”, souffle Lucie Bortaitu. D’autres encore ont été laissés par la police française à Ibardin, en plein cœur des Pyrénées, du côté espagnol.
Ce genre de témoignages de refoulement sont recueillis quotidiennement par les associations, françaises et espagnoles. Certains exilés ont déjà tenté six, sept voire huit fois le passage.
Les mineurs non plus n’échappent pas à ces renvois, malgré la possession d’acte de naissance pour certains, synonyme d’une évaluation de leur minorité et d’une prise en charge par le département.
Atteindre la France par la rivière
Ces refoulements, de plus en plus fréquents, inquiètent les humanitaires et les avocats. “Ces expulsions, qui sont devenues la norme, se font en dehors de tout cadre légal. Ce sont purement et simplement des renvois expéditifs illégaux”, signale Me Francisco Sanchez Rodriguez, avocat en droits des étrangers au barreau de Bayonne. Les exilés n’ont en effet pas la possibilité de déposer l’asile, et aucun document de renvoi ne leur est délivré par un juge, comme le prévoit la loi. “On n’avait jamais vu cela à cette frontière”, assure l’avocat.
Malgré la pression policière et les violations de leurs droits, les migrants restent déterminés à continuer leur route. Résultat : ils prennent de plus en plus de risques pour échapper aux forces de l’ordre. Quelques-uns ont même tenté d’atteindre la France en traversant la frontière Bidassoa, qui sépare les deux pays. Un itinéraire jusque-là jamais emprunté par les exilés.
Tom Dubois-Robin, un habitant d’Hendaye, voit depuis environ un mois des migrants essayer de “passer en France à la nage”, en dépit des dangers. Samedi 13 mars, alors qu’il est assis au bord de l’eau avec des amis, il porte secours à un jeune homme venu de l’autre côté de la rivière. Quelques jours plus tard, Tom Dubois-Robin ramasse une doudoune dans l’eau. Dans les poches, il trouve des effets de la Croix-Rouge, dont le centre à Irun accueille des exilés. “Il a dû tenter la traversée et a jeté sa doudoune car elle était trop lourde”, pense l’Hendayais.
Les associations et les citoyens du Pays basque redoutent un drame, et se battent pour empêcher que leur rivière ne devienne un cimetière. Tom Dubois-Robin partage ce combat. Cet ancien policier, qui a lâché son uniforme en 2018 en raison justement de ces renvois à répétition, a écrit aux élus de sa région pour “qu’ils tapent du point sur la table et qu’on évite le pire”. Las qu’il est depuis plusieurs années de “ce ping-pong incessant” qui consiste à “renvoyer à la frontière des familles avec enfants”.