Des militants de l’organisation ont détourné les plaques de l’avenue Bugeaud, qui porte le nom d’un général ayant participé à la conquête de l’Algérie.
Source AFP
Publié le 19/03/2021 à 09h50
« Avenue du criminel Bugeaud », « avenue des enfumades »… SOS Racisme a détourné, vendredi 19 mars 2021, les plaques de l’artère parisienne portant le nom du général français responsable de la mort de nombreux Algériens au XIXe siècle, a constaté une journaliste de l’Agence France-Presse. Vers 6 h 30, cinq membres et militants de l’organisation se sont déployés sur l’avenue située dans le 16e arrondissement de la capitale pour apposer des plaques de rue détournées sur celles existantes. Le général Thomas Robert Bugeaud (1784-1849) a participé à la conquête de l’Algérie par la France et est notamment connu pour avoir soutenu le recours à la « politique de la terre brûlée » et à la technique de l’« enfumade » consistant à asphyxier des personnes réfugiées dans une grotte.
« On a décidé de ne pas attendre une décision politique » sur un changement de nom « qui pourrait prendre du temps tant les résistances peuvent être fortes sur le sujet », a expliqué Valentin Stel, membre de SOS Racisme. « Il ne s’agit pas de venir vandaliser ou rebaptiser selon notre propre goût une avenue qui porte le nom de Bugeaud, mais de venir préciser qui était ce personnage qui n’était rien d’autre qu’un criminel de guerre. »
« Cette personne aujourd’hui serait à La Haye »
Les monuments et statues liés à l’histoire coloniale française sont au centre d’une polémique mémorielle depuis la mort de George Floyd, un Afro-Américain étouffé par un policier blanc aux États-Unis en 2020, qui a été suivie d’appels à déboulonner certaines statues et à débaptiser certaines rues. Dans une récente interview au Monde Afrique, l’adjointe à la Mairie de Paris chargée de la mémoire, Laurence Patrice, a indiqué être « favorable à l’idée d’étudier précisément le cas » de l’avenue Bugeaud. « Cette personne aujourd’hui serait à La Haye » devant la Cour pénale internationale, a estimé Valentin Stel, jugeant « scandaleux qu’on continue de rendre hommage à une figure comme ça en France en 2021 ».
Emmanuel Macron avait prévenu, l’an dernier, que « la République n’effacera[it] aucune trace ni aucun nom de son Histoire » et qu’elle ne « déboulonnera[it] pas de statue » et appelé à « lucidement regarder ensemble toute » l’Histoire de France. Le chef de l’État, qui a fait plusieurs gestes pour « réconcilier les mémoires » entre Français et Algériens depuis le début de l’année, a parallèlement appelé à mettre à l’honneur dans les rues de France des « héros issus de la diversité » et de l’immigration, dont une première liste a été dévoilée la semaine dernière.
Ci-dessous la fiche consacrée à Bugeaud dans le Guide du Bordeaux colonial (Édition Syllepse)
Maréchal-Bugeaud (rue)
Thomas Robert Bugeaud, maréchal de France, (1784-1849). Engagé à 20 ans dans les guerres napoléoniennes, il est déjà colonel en 1813. Retiré sur ses terres périgourdines sous la seconde restauration, où il se fait élire député, il ne reviendra sérieusement aux affaires qu’en 1936 en Algérie dont il devient « le pacificateur ». D’abord contre la révolte d’Abd-el-Kader sans grand succès. Puis en 1841, Bugeaud est nommé gouverneur de l’Algérie. Flanqué de 4 généraux dont il n’est pas inutile de citer les noms : La Moricière, Changarnier, Bedeau et Cavignac, il va appliquer la politique de la terre brûlée, fort d’une armée de 100.000 hommes. Ses troupes organisées en colonnes mobiles pourchassent les rebelles arabes, incendient les villages, détruisent les troupeaux, enfument les grottes dans lesquels les fuyards se cachent. .Pour Bugeaud, il s’agit « d’empêcher les Arabes de semer, de récolter, de pâturer,(…) de jouir de leurs champs,(…) Allez tous les ans leur brûler les récoltes (…) ou bien exterminez les jusqu’au dernier » Pour le politiste Olivier Le Cour Grandmaison, (1) « Bugeaud est le théoricien, et le praticien, d’une guerre qui doit être qualifiée de totale puisqu’elle débouche sur l’effondrement de deux distinctions majeures, liées entre elles et constitutives des guerres réglées, comme on les nomme alors. La distinction entre civils et militaires, destinée à préserver autant que faire se peut les premiers de la violence des combats, et celle entre sanctuaire et champ de bataille, indispensable pour permettre aux populations de trouver refuge en des lieux qui doivent être épargnés par les affrontements. » La préoccupation constante de Bugeaud fut d’associer l’armée à la colonisation. « L’armée est tout en Afrique », disait-il ; « elle seule a détruit, elle seule peut édifier. Elle seule a conquis le sol, elle seule le fécondera par la culture et pourra par les grands travaux publics le préparer à recevoir une nombreuse population civile. » Sa devise restée célèbre, Ense et Aratro, par l’épée et la charrue n’a pas l’heur de plaire à un groupe de Périgourdins qui réclament le déboulonnage des statues de Bugeaud, à Périgueux, à Excideuil et au Louvre. Pour ceux-là, le maréchal est « le symbole de la barbarie coloniale et militariste ».
Le Cour Grandmaison, Olivier. – Coloniser. Exterminer. Sur la guerre et l’État colonial. Paris, Fayard, 2005