Après l’évacuation du squat de Cenon jeudi 11 février, le collectif de soutien a voulu livrer des chiffres et des témoignages sur la dispersions des personnes expulsées. Enfants déscolarisés, adultes éloignés de leurs lieux de travail… le collectif dénonce une nouvelle fois le manque de préparation de cette opération qui, « correctement faite, aurait permis à la préfecture d’être en phase avec la réalité humaine ».
Michael est Nigérian. Arrivé en France en 2012, il est en possession d’un titre de séjour et travaille à Bordeaux depuis un an et demi avec un CDI. Expulsé du squat La Zone libre, il a accepté de monter dans le bus affrété par la préfecture avec sa femme et ses quatre enfants.
« On s’est retrouvé au 115 pour un hébergement de quelques jours à Angoulême. On n’avait aucun projet et on était loin de tout. J’ai préféré revenir à Bordeaux. »
Après lui, une jeune lycéenne albanaise témoigne :
« Cette situation provoque beaucoup d’angoisse et de stress pour mes études. Je suis en France depuis 5 ans et j’en suis à la quatrième expulsion. »
Un autre témoignage est celui d’une professeur de français au lycée Montesquieu. Elle rapporte son inquiétude pour un de ses élèves :
« Saba est un élève sérieux et assidu, qui s’efforce de progresser dans son apprentissage et en particulier de la langue française. Remettre tout ça en cause risque d’être catastrophique. »
« Ils s’attendaient à trouver les gens sur des transats à siroter des mojitos »
A Darwin, ce jeudi matin, le collectif de soutien de la Zone libre (qui réunit association, mouvements, syndicats, structures culturelles, et citoyens…) a « voulu faire un bilan humain une semaine après l’expulsion du site Paul-Ramadier à Cenon » explique Brigitte Lopez, du Réseau éducation sans frontières (RESF). Elle tient à préciser en préambule certains écarts entre les chiffres annoncés :
« La veille de l’expulsion, il y avait 300 personnes dont 110 enfants. La préfecture parle de 120 personnes. D’où vient cet écart ? La préfecture a compté les habitants à deux reprises. En octobre 2020, le comptage en journée a relevé 146 personnes. Alors qu’on sait que 100 enfants vont à l’école ou en crèche et que la plupart des gens travaillent ou poursuivent des démarches. Apparement, ils s’attendaient à trouver les gens sur des transats à siroter des mojitos. Jeudi dernier, jour de l’expulsion, ils ont compté 123 personnes. Or la veille, on savait que l’expulsion allait avoir lieu et certains ont mis leurs enfants ailleurs pour leur éviter ce traumatisme et d’autres étaient déjà partis. »
Brigitte Lopez regrette ainsi l’absence d’ « une vision bien plus précise si le diagnostic avait été fait correctement, ce qui aurait permis à la préfecture d’être en phase avec la réalité humaine et de faire des propositions pour des sorties vers le haut ».
Vient ensuite un décompte précis énoncé par David Thomas, citoyen engagé dans le collectif :
« Nous avons recensé au 17 février 181 adultes et 104 personnes. Actuellement, 12 sont dans des hôtels payés par les associations, 23 dans des hôtels payés par l’Etat, 105 dans des hébergements solidaires, 49 à Darwin, 24 ont retrouvé des squats, 19 sont à la rue, 5 en dehors de la Gironde, 6 en location, 3 à l’hôpital, 4 pris en charge par le Cada, 10 ont rejoints des foyers, et nous sommes sans nouvelles de 25 personnes. »
A la rentrée, « on va compter les chaises vides »
Cet éclatement pose un problème de suivi à de nombreuses associations, Gérard Clabé de RESF précise :
« 87% des enfants sont en âge d’être ou étaient scolarisés. 53% d’entre eux étaient en école maternelle ou élémentaire dans 15 établissements de la métropole bordelaise. 24% en collège dans 10 établissements. Nous avons un suivi très précis et malheureusement, lundi prochain, jour de la rentrée, on va compter les chaises vides. »
Quand à Médecins du monde, l’association souligne le danger pour des personnes en soins (thérapie, insuffisance rénale…) et regrette que la Préfète « balaye ces cas du revers de la main et perturbe leur parcours de soins ».
De son côté, Raymond Blet qualifie l’expulsion d’illégale. Cet avocat à la retraite et soutien du collectif, envisage d’attaquer de nombreuses décisions relatives à cette expulsion devant le tribunal administratif, voire la cour d’assises. Pour lui, « les procès verbaux affirment que les logements sont vides, or ils étaient pleins. La police des frontières était passé avant pour les vider de force ».
En conclusion, Philippe Barre de Darwin Solidarités, a appelé les entrepreneurs à s’engager pour mettre à disposition des locaux vides, invitant la Chambres de commerce et d’industrie à se mobiliser.