Nous exigeons que les autorités marocaines respectent les droits de l’Homme…
Le mardi 29 décembre 2020, le professeur Maâti Monjib, ardent défenseur des droits de l’homme et brillant historien du Maroc contemporain, a été contraint de monter dans une voiture banalisée par huit policiers en civil et emmené dans un lieu inconnu. Abdellatif Hamamouchi, membre de l’Association Marocaine des Droits Humains (AMDH) avec qui Monjib déjeunait dans un restaurant du centre-ville de Rabat, a raconté plus tard comment l’arrestation brutale de Monjib s’est déroulée..
Cette démonstration de force de la part de l’État n’a duré que quelques minutes sous les yeux de passants qui en étaient témoins. Les policiers ont ignoré la demande, de la part du M. Monjib, d’un mandat d’arrêt et, sans lui présenter le moindre document, ont rapidement vaincu sa tentative de résistance pour le forcer à monter dans une voiture. En un temps record, le Procureur du Roi a publié un communiqué dans lequel il informait le public que Maâti Monjib avait été placé en garde à vue et traduit devant un juge d’instruction avant d’être emprisonné, en attendant un procès. Le juge a décidé de maintenir Monjib en prison pendant que l’affaire est en cours de préparation et ce, en dépit du fait que le Dr Monjib présentait toutes les garanties nécessaires qu’il resterait à la disposition de la justice marocaine jusqu’à la fin de son procès.
Âgé de 58 ans, le Dr Monjib est diabétique et souffre d’une maladie cardiaque. Lorsqu’il a été envoyé en prison, le Dr Monjib a été privé de ses médicaments et n’a reçu ni couverture ni vêtements appropriés. Le juge l’a interrogé en l’absence de son avocat, et sa famille n’a pas été informée de son sort. Ce n’est que plus tard, le 30 décembre 2020, que sa sœur et un ami ont été autorisés à lui rendre visite et lui apporter ce dont il avait besoin.
Les responsables de la prison ont refusé que cet éminent historien puisse recevoir un livre pendant cette période d’attente du procès ! Un tel traitement reflète une volonté de vengeance et rappelle les autres abus commis à l’encontre du Dr Monjib.
Le juge d’instruction en charge du dossier a déclaré qu’il menait une enquête à la demande du parquet général sur certains faits susceptibles de constituer des actes de blanchiment d’argent commis par Dr Monjib ! Les actes qui lui sont ainsi imputes pourraient lui couter une condamnation à la prison pour une période de cinq ans ou plus.
L’un de nous, Abdellah Hammoudi, professeur d’anthropologie à l’université de Princeton, est un ami proche et collègue universitaire du Dr Monjib depuis des années. Ils ont travaillé côte à côte sur de nombreux sujets académiques ou sur les droits humains, y compris sous les auspices des associations des droits de l’homme marocaines. Sur la base de cette expérience A. Hammoudi est absolument sûr que le Dr Monjib est innocent des accusations portées contre lui.
Les fonds sur lesquels le régime s’appuie comme éventuelle preuve de blanchiment d’argent ont été octroyés au Centre Ibn Roch des Études et Communication, un groupe de réflexion privé dirigé par Maâti Monjib, qui avait organisé des programmes sur les questions de droits de l’homme, le journalisme indépendant et la liberté d’expression et d’opinion. M. Monjib a fondé et dirigé les travaux du Centre jusqu’à ce qu’il fût forcé de mettre fin à ses activités en 2014 en raison des pressions politiques exercées par les autorités. L’Union Européenne et des ONG américaines ont financé le Centre, qui a été transparent tout au long de son existence et a respecté les meilleures pratiques pour une entreprise de recherche ayant un mandat en matière de droits de l’homme. Ni l’UE ni les ONG basées aux États-Unis qui ont fourni les fonds n’ont exprimé de préoccupations quant à la mauvaise gestion de leurs ressources [l’ONG néerlandaise Free Press Unlimited, un des partenaires du centre, nie dans une déclaration tout détournement d’argent].
En tant que professeur distingué d’histoire à l’Université Mohamed V de Rabat, M. Monjib s’est servi du Centre Ibn Rochd pour organiser des ateliers sur des sujets vitaux tels que la démocratisation, la liberté de la presse, le journalisme indépendant, la formation au journalisme d’investigation et les sujets connexes. Les activités de ce centre semblent avoir été jugées menaçantes pour les autorités qui ont pris des mesures pour qu’il soit fermé.
M. Monjib est un chercheur remarquable, et un auteur prolifique qui a publié plusieurs livres et de nombreux articles en arabe, en français et en anglais. Il est largement lu et apprécié au Maroc, au Maghreb, dans le Monde Arabe, et en Europe. Sa renommée internationale est avérée. Parmi ses distinctions aux États-Unis et à l’étranger, Monjib a été collègue à la Brookings Institution, professeur invité à l’Université de Floride-Gainesville, chercheur boursier Fulbright à la faculté Rainy River Community et professeur à l’Université Gaston Berger de Saint Louis au Sénégal entre 1992 et 2000.
Ce n’est pas la première fois que l’engagement fort de Monjib pour les droits de l’Homme et de la démocratie provoque la colère des autorités marocaines. Il avait déjà enduré [sous Hassan II] l’exil au Sénégal. Depuis son retour au Maroc pour reprendre son enseignement à l’Université Mohamed V, Monjib a été soumis à des formes de surveillance systématique et de toutes sortes de harcèlement qui lui ont rendu la vie insupportable.
Une première procédure judiciaire a été ouverte contre le Dr Monjib en 2015. Il a été accusé de réception illégale de fonds provenant de sources étrangères et d’actes menaçant la sécurité de l’État. En outre, il a été interdit de voyager à l’étranger. En fait, ces accusations étaient des réactions punitives à la formation fournie par le Centre Ibn Rochd de la première génération de journalistes d’investigation au Maroc. L’interdiction n’a été levée qu’après des pressions exercées par une longue grève de la faim et une campagne de solidarité internationale. Les accusations portées contre Monjib se sont avérées sans fondement, selon l’avis de nombreux avocats et observateurs indépendants au Maroc et à l’étranger. Néanmoins, le Dr Monjib a tenu à se rendre aux audiences du tribunal, mais à chaque fois, les juges ont délibéré pendant quelques minutes, puis reporté le procès. Il s’agit d’une technique de pression classique, en gardant un dossier criminel ouvert comme stratégie d’intimidation permanente, pour tenir la personne visée sous l’épée de Damoclès.
Profitant des conditions créées par la pandémie, que le régime a utilisées comme prétexte pour intensifier la répression et le contrôle de l’ensemble du pays, la police a fréquemment convoqué le Dr Monjib à comparaître devant la brigade nationale de la police judiciaire à Casablanca, et étendu la convocation aux membres de sa famille. Une intense campagne de diffamation a été orchestrée par les autorités marocaines pour donner un semblant de crédibilité à ces convocations. Dans le cadre de la campagne visant à discréditer Monjib, la valeur de ses biens a été gonflée de telle façon à le faire apparaitre sous les couleurs d’un trafiquant. Or, il s’agit en fait d’une maison qu’il possède dans la ville de Témara, un appartement dans le quartier de l’Agdal à Rabat qu’il utilise comme bureau, et de quelques lopins de terre agricole qu’il a hérités de sa famille. Ces biens modestes ont été traités comme s’il s’agissait d’une grande fortune par la “presse jaune”. Une presse spécialisée dans la diffamation des journalistes et activistes qui militent pour les droits humains et libertés civiles et qui a prospéré ces dernières années en toute impunité.
Des renseignements personnels sur Maâti Monjib,et accessibles seulement à la police et la justice, ont été divulgués par la “presse jaune” à des millions de lecteurs, apparemment pour préparer l’opinion publique à l’étape suivante de son arrestation et de son renvoi en prison. Cette attaque de propagande omet systématiquement de mentionner que M. Monjib est un professeur de renommée internationale, conférencier distingué, consultant et professeur, qui dispose ainsi de plusieurs sources de revenu lui permettant de gagner sa vie décemment,, et de mener ses activités professionnelles, y compris l’achat d’un bureau.
Le Dr Monjib, comme nombre d’observateurs savaient que son arrestation était imminente. Les Services qui le persécutent attendaient simplement qu’il se remette du COVID-19 [contracté entretemps] avant de procéder à son arrestation d’une manière qui rappelle aux Marocains les « années de plomb », une longue période couvrant les années 1960-1980, devenue célèbre pour les détentions arbitraires et les disparitions forcées de dissidents. L’État a de nouveau procédé récemment à l’arrestation de personnalités de l’opposition avant les vacances annuelles afin de s’assurer qu’ils seront gardés en prison pendant les vacances judiciaires. L’arrestation du Dr Monjib à la veille de la nouvelle année signifiait qu’il ne pouvait pas s’attendre à être libéré de sitôt, le privant injustement de la compagnie de sa famille pendant ses vacances.
Le Dr Monjib doit maintenant faire face à deux procès. Le premier procès se poursuit depuis 2015 et concerne l’accusation d’atteinte à la sécurité de l’État. Le second remonte à la fin de 2020 sur la base d’accusations de blanchiment d’argent. Bien que le premier dossier soit de nature clairement politique, étant donné l’accusation d’atteinte à la sécurité de l’État, le second se veut de nature financière, alléguant le blanchiment d’argent. Les observateurs insistent sur le fait que, malgré les apparences, cette deuxième accusation est également motivée par des représailles politiques en raison du fait que les activités de M. Monjib sont perçues comme critiques vis-à-vis des politiques gouvernementales. Plusieurs journalistes ont été accusés de crimes qui ne semblent pas liés aux véritables raisons politiques qui expliquent en fait leur arrestation. Les accusations politiques contre M. Monjib semblent également mieux expliquées dans le cadre des efforts visant à le diffamer, et à dépolitiser son procès afin de dissimuler sa nature véritable.
Le cas de M. Monjib n’est que le dernier d’une série d’actions, de plus en plus agressives pour réprimer les militants, les journalistes et les dissidents qui ne font qu’exercer leurs droits constitutionnels. La Justice et l’appareil judiciaire sont instrumentalisés dans une nouvelle génération de graves violations des droits de l’Homme commises par les autorités publiques. Cette tendance réduit les marges de liberté que le gouvernement autoritaire avait concédées à contrecœur sous la pression populaire pendant le Printemps arabe de 2011.
Le contexte plus large de la répression marocaine est conforme au traitement réservé au Dr Monjib : Les leaders de la protestation du Rif (Hirak) purgent toujours les lourdes peines qu’ils ont reçues lors de procès injustes, les journalistes qui dérangent sont accusés de crimes sexuels, des personnalités politiques et des citoyens ordinaires se sont retrouvés objets de vidéos sexuelles. Les journalistes indépendants, en particulier, sont devenus des ennemis de l’État: Ali Anouzla, journaliste respecté pour son intégrité, est accusé d’avoir fait l’apologie du terrorisme, Taoufik Bouachrine purge une peine de 15 ans de prison pour de prétendus crimes de nature sexuelle, viols, traite d’êtres humains et enregistrement à contenus pornographiques, le journaliste Hamid Mahdaoui a purgé une peine de trois ans pour le faux crime de ne pas avoir informé la police d’un appel téléphonique qu’il a reçu de quelqu’un qui prétendait planifier l’introduction d’un char dans le pays. Le véritable « crime » de Mahdaoui pour lequel il a été arrêté et jugé était en fait sa couverture honnête du Hirak du Rif. Hajar Raissouni, jeune femme journaliste au quotidien de Bouachrine, Akhbar Al Yaoum, a été arrêtée avec son fiancé sur des accusations d’avortement. Son oncle, le rédacteur en chef d’Akhbar Al Yaoum, Souleiman Raissouni, est en prison depuis huit mois à cause d’un post Facebook provenant d’un faux compte, l’accusant d’une tentative de viol. Omar Radi, journaliste d’investigation, est arrêté depuis septembre et accusé de viol. Bien que Radi revendique une relation consensuelle, il ne connait pas encore la date de son procès au tribunal après plusieurs mois de prison. Alors que le viol et la violence sexuelle doivent être pris au sérieux par la justice, l’appareil policier marocain semble avoir utilisé l’opprobre moral associé à ces crimes pour susciter l’hostilité du public envers ses opposants. L’incertitude entourant les allégations de violences sexuelles rend presque impossible l’organisation d’un soutien international à ces journalistes. La nature de ces crimes divise également les militants des droits de l’homme, embarrasse l’opinion publique et aide l’État à mettre en pratique son agenda répressif.
Il faut souligner que le fait de dénoncer la corruption, l’injustice et la dévastation écologique par les intérêts particuliers et les puissants du pays constituent les véritables raisons de ces graves accusations. Ceux qui sont assez courageux pour exposer ces problèmes, au lieu d’être honorés, sont au contraire poursuivis par l’État d’une manière qui vise à réduire l’étendue de leur influence.
Le droit et les tribunaux marocains sont manipulés pour soutenir une campagne continue et systématique de terreur d’État visant à faire taire les voix dissidentes et critiques. L’impact de cette campagne est un sentiment généralisé d’insécurité, et celui d’un avenir incertain pour de nombreux intellectuels, journalistes et militants des droits de l’homme.
Nous demandons au gouvernement marocain de libérer le Dr Maâti Monjib sans conditions et d’annuler les accusations anciennes et actuelles qui pèsent sur lui. Les accusations portées contre Monjib sont sans fondement et les procédures engagées violent la présomption d’innocence à laquelle toute personne a droit, en particulier les journalistes et les universitaires.
Nous croyons que le Dr Monjib est puni uniquement pour avoir dit la vérité au pouvoir.
Nous demandons au gouvernement marocain de libérer d’autres défenseurs des droits humains purgeant actuellement des peines de prison, ou faisant l’objet d’une enquête, dont certains sont détenus illégalement en état d’arrestation.
Nous exigeons que les autorités marocaines respectent les droits de l’Homme tels qu’ils sont reconnus dans les lois et la Constitution du pays. Le contenu de ces normes a été clarifié par les conclusions de l’Instance d’Équité et de Réconciliation. Par-dessus tout, nous demandons que la police et le système judiciaire honorent la présomption d’innocence jusqu’à ce que l’accusé soit déclaré coupable par une preuve fiable d’un poids suffisant pour établir la culpabilité hors de tout doute raisonnable. Nous demandons que ces accusés soient remis en liberté pendant les enquêtes et tout au long du procès. Les personnes respectables et de grande renommée et stature sociale ne représentent jamais aucune menace de fuite de leur pays pour éviter des poursuites judiciaires si la loi est correctement appliquée.
Mercredi 20 Janvier 2021