Autre curiosité incongrue dans ce désert : des carcasses de fusée, laissées par le centre de tir d’Hammaguir[1]. L’un des méharistes récupérait d’ailleurs les écrous et vis qui restaient sur les tôles… Bricoleur dans l’âme, il réparait tout ce qui pouvait l’être, cafetières, postes à transistors… Avec ces carcasses, il pouvait assouvir sa passion du bricolage.
Fin février de cette année 1961, un fort orage s’abat sur la région. Le fait est rare, évidemment, une fois tous les dix ans, mais c’est une vraie catastrophe dans le village dont l’argile des maisons résiste mal aux 15 mm d’eau déversés en peu de temps. La piste du terrain d’atterrissage est totalement détrempée et le C 47 qui achemine toutes les semaines courrier et ravitaillement ne peut se poser. Les réserves dans les chambres froides sont épuisées, de même que la farine nécessaire à la fabrication du pain. Il est impératif de trouver un moyen de subsistance. Nous sommes réduits, la mort dans l’âme, à abattre un jeune chameau du peloton méhariste.
Vive le chameau !
Dans cette société de pasteurs sahariens, le chameau est évidemment primordial pour la survie. Avec un estomac pouvant contenir deux cent cinquante litres d’eau, le chameau peut voyager sans boire cinq jours durant pendant les jours les plus chauds de l’été, ou sept jours en hiver si les pâturages sont abondants. Il est capable de parcourir soixante kilomètres par jour, avantage considérable étant donné la rareté et la dispersion des pâturages. Le chameau est également une excellente bête de charge, tant pour les migrations des nomades que pour le transport de marchandises sur de longues distances, puisqu’il peut porter jusqu’à 150 kilos.
Rappelons aussi que les nomades utilisent les poils du chameau pour fabriquer leurs tentes (kheimat) et la peau pour faire du cuir et orner leurs armes. Quant au lait de chameau – une femelle en produit environ 6 litres par jour et jusqu’à douze litres pendant les six mois d’allaitement – il constitue l’élément de base de l’alimentation des nomades. Le chameau est également une très bonne monture de combat – comme dans les compagnies méharistes – une monnaie d’échange, et, en plus du sel extrait dans les sebkhas sahariennes (salines), le principal “produit d’exportation” des nomades. Les nomades élèvent aussi des chèvres dont ils utilisent le lait, la viande, la peau et les poils.
Les produits fournis par les chameaux et les chèvres ne suffisaient pas à couvrir les besoins des nomades. Ainsi, fréquentaient-ils les centres marchands tels que Tindouf et Goulimine, au nord du Draa, pour y échanger leurs chameaux, ou leur laine et leurs peaux, contre des “marchandises d’importation” comme des céréales, du thé, des pains de sucre, des armes et autres produits manufacturés.
La gazelle au regard émouvant
Ils participaient aussi, en tant que guides, escorteurs ou commerçants indépendants, au commerce caravanier sur de longues distances qui, selon les époques, transportait des biens précieux tels l’or, les esclaves, les plumes d’autruches et la gomme arabique, de la savane et des forêts au sud du Sahara aux marchés du Maghreb et d’Europe et, en sens inverse, des biens manufacturés tels que du tissu.
Tuer un chameau pour se nourrir est donc une solution de dernier recours. Il est nécessaire de trouver un autre moyen de se nourrir en attendant la prochaine livraison aérienne de vivres frais. On part en 4/4 à la chasse à la gazelle sur la hamada. Cruelle chasse ! Les magnifiques animaux, pourtant très rapides, ne peuvent résister à l’assaut des Dodges et aux balles des fusils de guerre. Si la mort par balle ne survient pas en raison de la maladresse des tireurs, c’est alors l’effondrement de la bête dont le foie éclate ! Il faut alors achever par balle une gazelle dont le regard émouvant semble comprendre le sort qui lui est réservé.
Paul Huet
A suivre : Les accords d’Evian
[1] Hammaguir : base de lancement de fusées de Colomb-Béchar. Elle fut laissée à disposition des autorités françaises cinq années supplémentaires, après 1962, pour pouvoir poursuivre les essais en vol nécessaires à la mise au point des premiers missiles balistiques de la force de dissuasion et du lanceur spatial Diamant. Le site de Reggane, plus au centre du Sahara, était destiné aux tirs nucléaires.
La base est évacuée en 1967 conformément aux accords d’Évian. Parallèlement, et grâce à ce délai, Kourou, en Guyane française, prenait la suite immédiate sans interrompre ces programmes majeurs. (source Wikipédia)