A la mi-janvier, ma demande de mutation prend forme. Mon remplaçant arrive en même temps que l’avis officiel de mutation : je suis affecté à la Compagnie Méhariste de la Saoura à compter du 1er février 1962.

Le vendredi 26 janvier, après les formalités d’embarquement puis deux incidents techniques qui obligent l’avion à se poser, je quittai vers 17 heures le sol algérois à bord d’un avion de transport de troupes, un “Nordatlas”, dont la double queue est caractéristique. Le temps est magnifique et permet une approche exceptionnelle du désert saharien vu du ciel.

le rite du thé

                           Touaregs, Maures et Chambi

Atterrissage à Reggan vers 20 h 30. Un camion nous emmène à la base militaire, Jean-Marie Ploux et moi. La nuit est extrêmement froide et les épaisses couvertures ne sont pas superflues. Le lendemain nous visitons l’Etat Major et l’escale aérienne de la base, et découvrons l’oasis de Reggan, à une dizaine de kilomètres de la base. Commence alors la découverte de cette petite palmeraie avec ses jardins irrigués, ses maisons en torchis. Les dunes du désert du Tanezrouft enserrent le petit village. C’est également la première rencontre des autochtones, Touaregs, Maures, Chambi ? Je ne sais encore. Les enfants, à proximité des cases en pisé, courent après nous. Certains plus jeunes restent assis à l’entrée des habitations, le regard triste, les yeux et la bouche infestés de mouches ; les femmes en gandourah bleu anthracite vaquent à leurs occupations, le regard fuyant…

Après ces quelques jours de première approche de la vie saharienne, je quitte la base de Reggan pour Colomb Béchar en utilisant le même moyen de transport, le Nordatlas. C’est l’après-midi. Un fort vent malmène l’appareil et rend malades les passagers. Le logement à Colomb Béchar s’effectue dans les baraquements d’un immense camp de passage. Colomb Béchar est en effet la base arrière qui dessert les troupes de la Saoura et toute la Z.O.S, la zone Ouest du Sahara, entre Maroc, Mauritanie et Mali. Pendant une semaine – le temps qu’un avion soit complet pour partir – c’est l’inactivité, les sorties “en ville”, la découverte de cette ville-base militaire. Jusqu’au matin du mardi 6 février où un C47 s’envole avec quelques passagers et un fret important vers Tabelbala. Après une heure de vol, l’avion atterrit sur une piste sommaire, terre et sable.

                                 Affecté au dépôt d’essence

Tabelbala est une agréable oasis à la limite de l’erg Er Raoui et au pied du Kahal Tabelbala, massif montagneux dont la roche est noircie par le soleil. La CMS (Compagnie Méhariste de la Saoura) est hébergée dans un bordj clos de murailles en terre cuite. Des “koubbas” aux coupoles blanches, peintes au kaolin, abritent les divers services inhérents à toute compagnie saharienne : popote, logement des troupes et des cadres, radio, poste de commandement. Bref, c’est une caserne, mais en plein désert.

Après le circuit administratif habituel et la visite d’incorporation, je suis affecté par le capitaine Cosse, commandant de la CMS, au dépôt d’essence ! J’avais fait tout ce trajet, sur une quinzaine de jours, pour me retrouver pompiste ! La déception fut amère, mais après tout, mon désir le plus ardent était de connaître le désert. J’étais maintenant dans le vif du sujet. A l’ami Ploux revint le poste d’instituteur des enfants du village proche du bordj. Sa “classe” se trouvait dans l’oasis, à quelques centaines de mètres du bordj. Je me souviens d’un Jean-Marie, heureux lorsque, après sa journée d’école, il rentrait au bordj, en flânant, dans la contemplation intime du désert.

méhariste en tenue d’apparat

                                       Les Maures Réguibat

Pour me consoler, si je puis dire, le capitaine m’attribua deux heures de cours par jour, cours de français aux harkis et commissionnés de la compagnie. Ma première expérience d’enseignant commença ainsi, dans la salle du réfectoire, avec une quinzaine de méharistes désireux d’apprendre le français écrit, des Chambi bien sûr, mais aussi quelques Maures Réguibat, ces nomades aussi magnifiques que les Touaregs.

Les Réguibats descendent des Berbères Sanhaja, habitants primitifs de cette région. Les populations du Sahara occidental étaient organisées en tribus distinctes et présentaient une assez grande diversité. Malgré cette diversité, ces populations avaient aussi de nombreux traits communs, s’expliquant par leur histoire, leurs contacts, la nature du pays et les conditions climatiques. Elles menaient un genre de vie pratiquement identique, fondé sur la nomadisation. Elles se déplaçaient constamment avec leurs troupeaux à la recherche de pâturages.

culture du maïs dans l’oasis

Précisons que les Réguibats avaient une solide réputation de guerriers. Les historiens de l’AOF soulignent les luttes fréquentes entre les tribus et les expéditions périodiques de razzia et de pillage des villages. Les tribus Chambi et Réguibats formaient un corps régulier de l’armée française et non un corps de supplétifs comme les goums[1]. Ces hommes de troupe étaient des Sahariens, engagés pour deux ans. Ils vivaient sur leur solde, pour leur nourriture et leur entretien. De fait, ils devaient se procurer eux-mêmes deux méhara et leur harnachement. Les effets militaires étaient fournis par le magasin d’habillement de la compagnie mais décomptés de leurs pécules. De la même façon, les jeunes appelés du contingent touchaient mensuellement une solde assez importante mais avec laquelle ils devaient s’habiller et se nourrir. Chaque mois avait lieu “l’Awouine” où chaque méhariste achetait vêtements, conserves et thé avant de partir en nomadisation aux confins de la Saoura et du Maroc.

Les tribus Réguibat avaient des activités économiques semblables : élevage, commerce, chasse ou pêche, parfois un peu d’artisanat et de culture. Il en était de même pour leurs coutumes, leur alimentation, leurs vêtements, leurs parures, leurs fêtes et leurs jeux (poésie, chants, musique, danse). Elles donnaient une instruction rudimentaire à leurs enfants, grâce à des maîtres (taleb) qui leur apprenait à lire le Coran et à écrire. Elles pratiquaient la même religion, l’islam, et y étaient très attachées. Elles parlaient la même langue, le hassanya, dialecte proche de l’arabe classique apporté par les Arabes.

                                  Paul Huet

A suivre : enfin maître d’école, presque !


[1] « goum » : terme arabe ancien qui signifie « tribu », « indépendance », et qui désigne à l’origine des nomades vivant libres et autonomes aux confins du désert, puis des soldats auxiliaires de l’armée française comme les goumiers

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