La covid n’aura pas eu sa peau ! In extremis, l’équipe d’Ancrage a tenu ce samedi 10 octobre le colloque intitulé « La guerre d’Algérie est-elle terminée ? » programmé initialement en avril et repoussé pour les raisons que vous savez. In extremis car dés ce lundi 12 octobre, la préfecture devait prendre de nouvelles mesures restrictives qui aurait plus encore hypothéqué notre projet. Il fallut cependant réduire la jauge du cinéma l’Utopie à 100 places, les réservations dépassait les 110 la veille. Succès public donc du débat et plus encore de la séance ciné du soir où il fut bien difficile de maintenir la désormais fameuse distanciation physique. Succès aussi par la diversité des prises de paroles et des témoignages issus du public : fils de harkis toujours en colère, pied noir chassé et pied noir resté en Algérie après la guerre, appelé du contingent qui avoue que sa femme et ses enfants ont appris très tard et très récemment sa participation à cette guerre ; fils d’un sous-préfet qui a témoigné des interrogations de son père en poste pendant le conflit à propos notamment des camps où furent relégués des millions d’algériens ; cet autre encore qui cherche comment sortir par le haut ; et celui-là, pied noir, qui se sent maghrébin d’origine européenne lui répond par le refus de tout racisme.
Redonner de la dignité en nommant
Notre rêve , à savoir mettre autour d’une table de dialogue tous nos « héros/héroïnes » présents dans le hors série et que nous n’avons pu réaliser s’est en fait accompli dans la salle, spontanément, à travers toutes ces interventions. La plus « émotionnante » fut le témoignage de cet appelé, ces victimes-là de la dernière guerre coloniale française, ont encore tant de mal à exprimer leurs souffrances. Redonner de la dignité en nommant les gens et en documentant leur histoire a dit , à peu prés, et joliment, une jeune femme auteure d’un roman sur l’histoire harkie de sa grand-mère, justement ce que fait Ancrage depuis toujours. Ce colloque fut, en plus de la possibilité de paroles individuelles, un beau lieu d’échange collectif, comme si, sur ce champ de bataille s’étaient soudain tus les canons et que tous s’étaient parlé par dessus les tranchées. Je n’oublie pas bien sûr les fortes paroles et les pistes historiques et politiques préalablement esquissées par les intervenants de tribune, en particulier Katia Khemache (1) à propos des harkis et Olivier Le Cour Grandmaison,(2) magistral et tranchant à propos des responsabilités de la classe politique et des militaires. Je ne peux que vous conseiller de lire leurs livres.
Des hommes
Salle quasiment comble le soir pour le film de Lucas Belvaux, Des hommes adapté du roman éponyme de Laurent Mauvignier. Les hommes en question, ce sont ceux qui dans les deux camps, lors de la guerre d’Algérie, se sont montrés capables et coupables d’atrocités insupportables, dont d’ailleurs le réalisateur nous épargnent la représentation. Un scénario un peu compliqué qui fait se chevaucher les époques et nous égare un peu, une histoire qui fait de la violence une affaire quasi individuelle, une affaire d’homme justement et qui ici fait l’impasse sur ce qu’elle avait de systématique, de politique. Dommage!
Jean-François Meekel
1 : Katia Khemache Harkis, un passé qui ne passe pas. Cairn 2018
2 : Olivier Le Cour Grandmaison « Ennemis mortels » Représentation de l’islam et politiques musulmanes en France à l’époque coloniale La Découverte 2019
Racismes de France en codirection avec Omar Slaouti La Découverte 2020