4 avril 2020 Par Patricia Neves
En pleine pandémie, le pays a décidé de régulariser temporairement les demandeurs d’asile et les immigrés en attente de titre de séjour pour mieux les protéger. « Le devoir d’une société solidaire », a déclaré le ministre de l’intérieur.
«Il est encore plus important […] en temps de crise, de garantir les droits des plus fragiles, notamment des migrants. » La phrase n’a pas été prononcée par le milieu associatif mais par un haut responsable politique, le ministre de l’intérieur portugais. Ce 28 mars, Eduardo Cabrita joint la parole aux actes et annonce la régularisation temporaire de tous les demandeurs d’asile et de tous les immigrés qui attendent la délivrance d’un titre de séjour au Portugal. « Santé et sécurité pour tous, plaide-t-il dans les pages du quotidien Público. C’est le devoir d’une société solidaire. »
Lorsque Maria parcourt les mots du ministre sur son téléphone, elle commence son service dans un restaurant du bord de mer, à Porto, l’une des villes portugaises les plus touchées par la pandémie du Covid-19. La jeune femme de 38 ans, originaire du Nordeste brésilien, est sans papiers. « Cette décision, c’est un soulagement », confie-t-elle. Le restaurant est vide, fermé depuis l’instauration de l’état d’urgence le 18 mars dernier, comme tous les commerces non essentiels, mais il y a encore un peu de travail à finir, quelques heures de ménage. Alors Maria s’active, « heureuse », « prudente », « en panique ». Ces derniers jours, tout se bouscule.
Un peu plus de 150 000 immigrés brésiliens vivent aujourd’hui leur confinement au Portugal. Pro-immigration, pro-dépenses publiques, pro-européen, le pays, laboratoire de la gauche, vogue à contre-courant et renoue avec la croissance. + 3,5 % en 2017, + 2,4 % en 2018 et même 0,2 % d’excédent budgétaire en 2019, une première depuis la fin de la dictature en 1974. L’excédent budgétaire, promesse d’une vie meilleure, loin de la crise financière de 2008, de l’austérité, de la Troïka, de la casse sociale et du chômage de masse. Qu’en restera-t-il après la pandémie ? Le modèle portugais y survivra-t-il ?
En voyant le premier ministre António Costa s’emporter il y a quelques jours contre l’égoïsme « répugnant » de certains de ses voisins européens en pleine pandémie, on aimerait croire que oui. Au Portugal, António Costa est devenu l’un des visages de la crise. Omniprésent, le premier ministre a multiplié les annonces. Sa priorité : protéger l’emploi de tous les travailleurs, avec ou sans papiers. Une politique fondée sur un constat simple. Le faible taux de natalité (1,41 enfant par femme en 2018) ne permettra pas au pays d’enrayer le vieillissement de sa population. Les 20-64 ans, en âge de travailler, devraient en effet, selon l’OCDE, y reculer de 30 % d’ici à 2050.
Dans ce contexte, des milliers d’immigrés modestes s’apprêtent à bénéficier des régularisations temporaires. En 2018, 1 045 demandes d’asile ont été déposées au Portugal et 16 500 immigrés y ont été accueillis, des Brésiliens pour la plupart. Les régularisations aujourd’hui courent jusqu’au 30 juin 2020 et visent à faciliter dès à présent l’accès au Service public de santé (SNS) et aux mesures de protection sociale annoncées pour faire face à la crise. « Il faut saluer l’audace du gouvernement, se réjouit ainsi Flora Silva, de l’ONG Olho Vivo qui vient en aide aux migrants. On était en réunion il y a quelques jours encore, on sent qu’ils essaient vraiment de trouver des solutions. » Outre le dispositif de chômage partiel (lay-off) qui assure les deux tiers du salaire, le gouvernement a d’ores et déjà décidé de prolonger les droits aux diverses allocations, (chômage, revenus d’insertion, etc.) ou encore la mise en place de facilités de paiement pour les plus démunis en ce qui concerne les impôts, les loyers également, dont les prix ont explosé dans les grandes villes, payables jusqu’à douze mois après la fin de la pandémie.
Trois milliards d’euros de crédit sont également prévus pour les petites et grandes entreprises parmi lesquelles 60 millions de crédit alloués aux micro-entreprises qui ne licencieront pas dans le secteur du tourisme, vital pour l’économie portugaise (près de 15 % du PIB). Décrié pour son « optimisme quelque peu irritant » par le très populaire président de la République Marcelo Rebelo de Sousa, le premier ministre n’échappe cependant pas aux critiques. A-t-il réagi trop tard ? Les mesures seront-elles suffisantes ? La question se pose timidement au Portugal tant l’austérité et les coupes budgétaires imposées après la crise de 2008 ont ravagé les services publics, l’hôpital en particulier.
« Dans notre économie néolibérale, les hôpitaux sont devenus des grandes entreprises. Et la santé une marchandise qu’on revend. Et qu’on achète, quand on peut », déplore la chercheuse Maria Irene Carvalho, de l’université de Lisbonne. Le premier ministre, lui, assure que, depuis son arrivée au pouvoir en 2015, 2 milliards d’euros ont été réinjectés dans le SNS pour combler le manque de personnels et d’équipements. Le 26 décembre 2019, bien avant la crise du coronavirus, António Costa consacrait d’ailleurs son allocution de Noël au Système national de santé, promettant aux soignants pour 2020 le plus gros budget jamais voté, avec 800 millions d’euros de financement supplémentaires, embauches et ouvertures de lits à la clef. Les malades doivent actuellement attendre jusqu’à deux ans pour obtenir une consultation avec un spécialiste ou une place en chirurgie auprès du SNS.
Devant sa télé, à Porto, Maria regarde les infos, Netflix, puis encore les infos. Les chiffres se succèdent : 1 000 médecins et 1 800 infirmiers rappelés en urgence ; 35 tonnes de matériels commandés pour les soignants, très exposés ; 10 millions de dollars déboursés pour l’acquisition de 500 appareils de ventilation qui viendront s’ajouter aux 1 142 disponibles ; 1 058 personnes hospitalisées ce vendredi 3 avril au Portugal, dont 245 en soins intensifs. Auxquelles s’ajoutent déjà 246 morts, trois fois moins qu’en Espagne à la même période. Sous l’impulsion du président de la République, placé en quarantaine par précaution début mars, le pays s’est confiné très tôt. Seize jours seulement après l’apparition du premier cas sur son sol, contre une cinquantaine de jours en France.