Deux squats de Bordeaux, La Mine, au Grand Parc, et rue Hortense, rive droite, sont dans l’attente des délibérés qui seront rendus d’ici fin août. Menacés d’expulsion, les uns par la mairie, les autres par le bailleur CDC Habitat, les occupants craignent de se retrouver à la rue. Parmi eux, une trentaine d’enfants. Les associations demandent à la justice « du temps », afin de trouver des solutions de relogement pérennes.
La Mine : des familles « pourraient se retrouver à la rue »
Après l’expulsion d’un campement de sans-abri, jeudi 7 juillet, sous une passerelle de Bordeaux Lac par la Métropole, d’autres expulsions pourraient suivre au cours de l’été. Parmi elles, le squat La Mine, situé au Grand Parc, rue du Docteur-Schweitzer.
Anciens logements de fonction pour enseignants, le bâtiment est occupé depuis septembre 2020 par 53 personnes, dont 24 enfants. Propriété de la mairie de Bordeaux, le bâtiment est voué à être démoli pour l’aménagement d’une route…. Après un renvoi, l’audience s’est tenue vendredi 8 juillet au pôle protection et proximité du tribunal judiciaire de Bordeaux.
Intégration
Maître Romain Foucard, avocat des occupants, a interrogé la validité de la procédure de référé utilisée par la mairie à la mi-juin. Devant les juges, il a plaidé pour que des délais supplémentaires soient octroyés aux occupants, le temps de « se retourner » :
« La mairie de Bordeaux a constaté l’occupation depuis le début. Il y a eu des échanges avec les services, l’établissement des fluides a même été opéré par la mairie. Il n’y a pas eu de dégradations dans le bâtiment. J’ai, avec moi, des dizaines d’attestations qui prouvent l’occupation depuis deux ans. Des voisins et habitants du Grand Parc ont aussi témoigné du caractère paisible du lieu. »
Et de détailler l’intégration des occupants dans le quartier :
« Les familles qui sont là aujourd’hui étaient dans un campement à Bordeaux Lac. Contrairement à ce qui a pu être dit, la majorité des occupants sont en situation régulière. Certains ont des titres de séjour, d’autres sont en demande. Des personnes ont un contrat de travail. Les enfants sont scolarisés dans les écoles du quartier. »
Délibéré le 26 août
Morti Khalifrat, de l’association Diamants des cités, craint que des familles ne se retrouvent à la rue à l’aune de la décision de justice rendue à la fin de l’été :
« En mai dernier, des huissiers sont déjà venus recenser le nombre de personnes. Ça a mis un coup de stress aux familles. Nous n’avons pas été prévenus. Aujourd’hui les enfants sont en vacances, mais pour eux l’été est synonyme d’expulsion. Certaines familles ont fait des demandes de logements sociaux, sauf que ça peut durer des années. »
Harmonie Lecerf, adjointe au maire en charge de l’accès aux droits et des solidarités, évoque de son côté des « délais supplémentaires qui ont déjà été accordés » :
« Certains ménages sont connus de nos services car suivis par le CCAS. Pour autant, les questions de relogement, comme celle de mise à l’abri, ne sont pas du ressort de la Ville, mais de l’État. Le bâtiment doit être démoli depuis deux ans. Les occupants et les associations ont dit qu’ils allaient trouver des solutions de relogement, nous avons déjà fait reculer l’expulsion avec le Covid et les confinements. »
Le délibéré est attendu le 26 août prochain.
Rue Hortense : les habitants gagnent un mois de répit
Onze adultes dont une femme enceinte et sept enfants sont pour leur part suspendus à la décision du tribunal judiciaire de Bordeaux pour savoir si oui, ou non, ils pourront continuer à loger rue Hortense. C’est la deuxième fois qu’une procédure d’expulsion est initiée par le bailleur, mandaté par l’État. Défendues par Maître Sylvain Galinat, les familles ont obtenu un répit d’au moins un mois : la décision est attendue pour le 12 août 2022.
Darwin Solidarité, Tri Potes et Mascagne, Médecins du Monde, Réseau Education sans frontière 33, le collectif Bienvenue, Toutes à l’abri, les Robins de la Rue… En tout, 21 acteurs associatifs forment le « comité de soutien aux habitants de la Résidence Hortense » et ont lancé une pétition en ligne. Celle-ci demande la suppression de la plainte pénale et l’arrêt de la procédure en cours et la mise en place d’une convention d’occupation temporaire.
Aucun travaux de réhabilitation jusqu’ici
Rue Hortense, les habitants semblent ne même pas savoir où se trouve ce squat, évacué un an plus tôt en hiver, alors qu’il accueillait des étudiants. Des familles, expulsées de la Zone libre de Cenon, y avaient aussi trouvé refuge. En septembre, tout le monde était mis à la rue par la justice. CDC Habitat, gestionnaire de ce bâtiment appartenant à l’État, et plus particulièrement au ministère de la Défense, évoquait des problèmes de sécurité et de salubrité.
Mais un an plus tard, aucun des travaux de réhabilitation n’a été réalisé. À CDC Habitat, on justifie cela par le fait que le premier squat et son expulsion ont retardé les travaux.
Le seul changement visible en un an est l’installation de portes anti-intrusion, d’une douzaine d’alarmes, de barrières, de vigiles… Le 8 février 2022, l’association du Droit au logement (DAL) force les portes. Tri potes et Mascagne a réalisé l’expertise du bâtiment avec Architectes sans frontières, l’équipe de Darwin solidarités a aidé aux travaux.
« Du temps pour trouver des solutions »
Le fils de Sara*, scolarisé en CM1, joue sur un fauteuil en cuir récupéré, dans l’un des six appartements. Le regard de sa mère s’humidifie quand elle se tait : ne pas parler de la situation est plus facile, il permet de ne pas penser à l’après. Une amie, jointe au téléphone, fait la traduction :
« Elle s’inquiète, c’est la troisième fois qu’elle va se retrouver dehors, dans la rue. Ça fait deux mois qu’elle habite ici et il y a déjà une menace d’expulsion. Elle appelle le 115 pour des places d’hébergement d’urgence, mais il n’y a pas de place. »
Tanguy Baron, représentant de Darwin Solidarités, confirme que l’association « va continuer à s’occuper » des familles :
« Si on applique la loi brutalement, oui, il y aura une expulsion. Mais nous demandons du temps pour trouver des solutions. Tous les signataires de la pétition se portent garants de ces gens. »
En janvier 2022, la Nuit de la solidarité dénombrait presque 600 personnes rien qu’à Bordeaux, dans les rues, les campements et les bidonvilles. Plus d’une personne sur cinq était mineure. Ce chiffre ne comptait pas les presque 300 squatteurs, dont beaucoup de familles avec enfants. Au total, la Ville dénombrait ainsi 848 personnes dans le besoin d’un hébergement d’urgence. Les associations en comptaient 1280.
Des centaines de mineurs dans la rue : une violation des droits de l’enfant
« Il y aurait 1 000 enfants sans logement en Gironde. C’est ça qu’il faut dire, s’emporte Alexandre Mahfoudhi, militant pour le logement. C’est une violation de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), qui dit que les enfants ont des droits particuliers. Et en France, on n’arrive pas à mettre à l’abri des enfants qui dorment dehors. C’est une honte partagée par tous. On en est venus à considérer ça comme “normal” à Bordeaux. »
195 États, dont la France, ont signé la CIDE en 1989. Parmi ses 54 articles, il y a le droit d’avoir un refuge, d’être secouru et d’avoir des conditions de vie décentes. La préfecture dénombre 537 enfants sur les 1919 personnes en squat et bidonvilles de Gironde, dont la majorité se trouve dans la métropole. Des chiffres « largement sous-estimés » selon les associations, qui y ajoutent entre 50 et 100% de sa valeur. Par ailleurs, ces données ne comprennent pas les personnes hébergées dans les réseaux de solidarité.