Elle se nomme Vidal, Frédérique Vidal, elle est , pour ceux, sans doute nombreux, qui l’ignorent encore, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Plutôt inconnue, ou presque, jusque là, sauf des étudiants qui, je crois, ne la porte pas dans leur cœur tant sa gestion de la pandémie est chaotique. Sa récente notoriété tient à une particularité finalement assez classique en politique voir en sport : le cadrage débordement. Ici surtout le débordement d’ailleurs, en l’occurrence au delà de la droite vers l’extrême droite.
Mme Vidal affirme que , « l’islamo-gauchisme gangrène la société dans son ensemble et l’université n’est pas imperméable » et elle demande dans la foulée au CNRS, le centre national de recherche scientifique de faire « une enquête sur l’ensemble des courants de recherches dans l’université afin de distinguer ce qui relève de la recherche académique et ce qui relève du militantisme. » Après le judéo-bolchévisme, le judéo-maçonnique, ces suppôts de l’anti-France chers a l’extrême droite des années 30, voici dans le même rôle l’islamo-gauchisme. C’est en quelque sorte l’invention d’une réalité destinée à détourner le regard et l’attention des vraies problèmes, on n’est pas encore chez Trump mais cela y ressemble.
« Alliance entre Mao Tsé Toug et l’Ayatollah Khomeini »
Pour l’hebdo Politis qui consacre l’édito de Denis Sieffert et deux papiers anglés à cette affaire, cette affirmation vient valider une pseudo enquête du Figaro qui accusait à la Une « l’islamo gauchisme de gangrener l’université » quand l’ineffable octogénaire Jean- Pierre Elkabbach y voit lui une sorte » d’alliance entre Mao Tsé Toug et l’ayatollah Khomeini, » pas moins…à quand la retraite…
Ces attaques font aussi écho au manifeste signé par une centaine d’universitaire, dont semble-t-il beaucoup de retraités, dénonçant, je cite, « des idéologies indigéniste, racialiste et décoloniale », réclamant déjà « des mesures de détection des dérives islamistes à l’université ».
Pour Denis Sieffert, « le choix d’un débat idéologique douteux alors que les étudiants sont plongés dans une crise dramatique, nous renvoie au fond d’une doctrine libérale qui n’a de cesse de fuir la question sociale. Toujours entraîner l’opinion sur un autre terrain. L’ islamo gauchisme, on serait bien en peine d’en donner une définition mais on devine l’arrière pensée. Écartons d’abord une hypothèse farfelue : des gauchistes convertis à l’islam ou à l’islamisme, on n’en connaît pas. Ceux que l’on nomme « gauchistes » entretiennent généralement avec Dieu une relation plus que distante…En revanche, il y a des gens très bien qui considèrent qu’il faut chercher l’origine de l’islamisme, et plus généralement des résurgences du phénomène religieux, plutôt dans des contextes socio-politique que dans la lecture littérale des textes sacrés. (…) La famille de pensée à laquelle se rattache Mme Vidal n’aime pas ce qui renvoie au social ou au fait colonial. »
« Arguties de café du commerce »
Et Sieffert après avoir rappelé que l’invention du mot islamo-gauchisme fut inventé par le sociologue Pierre-André Taguieff pour stigmatiser en 2002 ceux qui manifestaient contre les bombes et les bulldozers israéliens en Cisjordanie et à Gaza , ajoute que le « séparatisme » d’aujourd’hui est l’enjeu d’une opposition entre ceux qui l’analyse d’abord comme le résultat d’une politique ségrégationniste de ghettoïsation et ceux qui l’expliquent uniquement par un abus de lecture du coran. »
J’oubliais de préciser que les propos de la ministre ont mis le feu à la plaine universitaire. En vrac, une pétition de 800 chercheurs réclame sa démission, la conférence des présidents d’université dénoncent des « arguties de café du commerce » et l’usage « d’une pseudo-notion calibrée pour l’extrême droite.» La présidentielle de 2022 se présente déjà comme un vaste champ de bataille où tous les coups sont permis…
Jean-François Meekel
à suivre: un journalisme de guerre