Premier article d’une série de 4, issus comme tous les mois de la revue de presse à laquelle participe l’auteur sur la radio RIG (90.4) Il sera successivement question d’islamo gauchisme, de journalisme de guerre et du livre d’Anne-Marie Garat, Humeur noire.
Florence Aubenas, aujourd’hui journaliste grand reporter au Monde, on la connait au départ pour une raison assez tragique, la prise en otage avec son fixeur et les cinq mois de captivité en Irak en 2005.
De Libération, à l’Obs puis au Monde donc, elle incarne le modèle parfait du journalisme de terrain, un journalisme d’immersion dit-on aussi, sous la forme d’enquêtes au long cours.
On se souvient qu’en 2019, elle a, par exemple passé une semaine sur les ronds pleins des gilets jaunes du Lot et Garonne, aidant à comprendre et à nuancer l’opinion des lecteurs sur cette révolte des petits. Les petits, c’est son affaire le plus souvent, ces gens de peu chers à Pierre Sansot, (1) ceux qui le plus souvent passent sous les radars des médias sauf à la page faits divers. Et elle n’hésite pas, pour partager leur expérience à payer de sa personne, comme dans l’ouvrage intitulé le quai de Ouistreham où elle relate les mois passés comme femme de ménage à bord des ferrys transmanche. Enfin elle vient de publier l’inconnu de la poste à l’Olivier, une enquête sur le meurtre non élucidé d’une employé de la poste dans un bourg du Haut Bugey.
La revanche des épiceries
Mais si je vous parle de Florence Aubenas, c’est au sujet d’un article qu’elle vient de publier dans le Monde la semaine dernière à propos de la revanche des épiceries et des arrière-pays dans les Cévennes et sur l’Aubrac. Une plongée en apnée dans une France de moins en moins profonde, car à lire ce reportage, on comprend que ce monde rural, cette campagne attire de plus en plus ceux des villes, et le projet prêté à Alphonse Allais « de construire les villes à la campagne car l’air y est plus sain » est en voie de réalisation. Là en l’occurrence nous sommes en Lozère et dans le Gard, dans des villages qui ont connu une forte perte de population depuis l’après guerre jusqu’aux années 2000 se souviennent les anciens. Mais la crise de 2008, les attentats de 2015 et cette fois la pandémie a donné « un coup d’accélérateur » à la repopulation écrit la journaliste. Exemple aux Plantiers, dans le Gard, 259 habitants.
« On se souvient du premier confinement,un an déjà, les voitures arrivant de partout, en pleine nuit, bagages ficelés sur le toit, « comme des réfugiés ». La région a enchaîné sur un été prodigieux, les campings et les hôtels bondés comme jamais, les visiteurs émerveillés. « On vous a vus à la télé : ce bon air, ces rivières, ce zéro virus. »
Pourtant le virus a sévit aux Plantiers, à l’automne, un quart des habitants étaient fauchés à leur tour par la Covid-19. Un retraité baisse la voix dans les rayons de l’épicerie, pour raconter l’avoir attrapé. « Soyons sincères, ça jetait un froid ici quand on se disait contaminé, comme si on avait fait des bêtises. »
Produits locaux et de proximité
Qu’importe. Les vacances prochaines affichent complet dès le mois de juin, plus aucune maison n’est à vendre. Une famille nîmoise n’en revient pas d’avoir décroché une des dernières. Elle ne compte pas forcément s’installer, « on voulait surtout se garantir une base arrière », explique le père. (…)On peut rester quinze jours sans téléphone. C’est cet isolement, justement, qui a décidé le père de famille nîmois : « On sera à l’abri, refuge et protection, au cas où… » A l’abri de quoi ? Lui-même peine à le dire. Frédéric Cheyssière, éducateur spécialisé, voit se dessiner une nouvelle géographie française. « A un moment, les gens vont quitter la ville, tout se durcit, trop de contraintes. Il faut s’y préparer
Signe évident de ce renouveau : la multiplication des épiceries. La France des épiceries se retrouve maintenant à l’épicentre d’une migration discrète mais têtue des villes vers les villages. Dit Aubenas. Elle interroge le patron de Magne un entreprise familiale qui assure la distribution alimentaire des épiceries depuis Mende. Spécialisé dans les petits commerces, Magne ravitaillait alors 300 épiceries dans la Haute-Loire, l’Aveyron ou la Lozère. « On s’est accrochés, on a continué à livrer là où personne ne voulait plus aller. » Aujourd’hui, ses tournées comptent 450 petits commerces, son chiffre d’affaires a grimpé de 16 millions à 23 millions d’euros en trois ans. L’avancée se remarque surtout dans les villages reculés, les arrière-pays, les territoires oubliés d’hier.
Et nouveauté, ce sont les produits locaux qui sont dorénavant élus par les consommateurs, la pandémie est passée par là même si elle a très peu frappée dans ces communes de grands airs. La consœur raconte que le grossiste en question a rajouté 700 produits de proximité à son catalogue, soit 30% de son chiffre d’affaire.
« Mais qu’est-ce que vous allez chercher là-bas ? »
Mais l’épicerie tend vers le multi-service chez Marisa et David qui ont repris la boutique depuis 5 ans, on vous fait la totale : je cite : Ils encaissent aussi les amendes, envoient les Colissimo, vendent les billets de train depuis que l’État a fermé ses propres guichets. . Ces deux là, Marisa et David viennent d’Alès : elle travaillait dans un hypermarché, lui était restaurateur. Un divorce chacun, la quarantaine, et ce comptoir au bout de la route, l’anti-start-up par excellence. Dans la famille de Marisa, on s’est étonné : « Mais qu’est-ce que vous allez chercher là-bas ?
Peut-être ce surcroit d’humanité dont fait preuve Bertrand , lui tient l’épicerie de Nasbinals sur le magnifique plateau de l’Aubrac. Un jour quand une mère avec ses enfants a piqué des pots pour bébé (…), Bertrand a fait semblant de regarder ailleurs. Il lâche : « On n’est pas survivalistes ni collapsologues, mais quelque chose est en train de s’écrouler. » Bertrand tient le magasin depuis six ans, après « un cursus parfois violent », la banlieue marseillaise, artisan puis chauffeur routier. Sa femme travaille dans le social. « Lui aussi, à sa manière », plaisante une habituée.
« Je suis trop contente, j’ai croisé une biche ! »
Et cette dernière pour le plaisir : Denise de Montpellier, Denise la branchée qui a laissé la bas un job dans la com informatique, les cocktails et ses talons hauts, les réseaux sociaux à fortes doses pour vivre sur le causse Méjean. « Quand Denise a décidé de rester après les vacances, l’apprentissage a commencé, pas à pas. Pour la première fois de sa vie, elle passe un entretien d’embauche en jean et baskets, remplaçante dans la fonction publique. Elle cesse de se maquiller. Plus de télé. Budget coupé en deux. Le test fatidique a lieu le jour où le réseau SFR saute avec l’orage. Elle n’en revient pas elle-même. « Je l’ai bien vécu. » Sur sa page Facebook, elle publie une image, prise en randonnée, assortie d’un commentaire ému : « Je suis trop contente, j’ai croisé une biche. » En dessous, un forestier lui répond : « Désolé d’intervenir, je crois que vous avez vu un chevreuil. » Ils sont devenus amis. Denise a décroché de Facebook. » fin de citation et fin de l’article.
Mais quelques mots encore de ma propre expérience qui vient conforter les observations de Florence Aubenas. Je viens de prendre avec des ami-e-s un grand bol d’air à la montagne, pyrénéenne en l’occurrence, dans le beau village de Lescun en vallée d’Aspe. Là aussi, un couple de l’Est vient de reprendre la gérance de l’épicerie-bazar communale, les maisons sont peu à peu rachetées soit par des néo-montagnards soit par des urbains qui sont plus attirés depuis la pandémie par du tourisme de proximité et par des pratiques sportives, les sentiers sont remplis de familles crapahutantes. Un afflux bon pour les productions locales, les éleveurs peinent à alimenter en fromage, ce fut le cas l’été dernier, moins bons pour l’immobilier, les prix de la pierre grimpent dangereusement et rendent les acquisitions difficiles pour ceux de la vallée. Enfin, évolution sociologique et des mentalités, aux dernières municipales, une liste quasi-écolo a été élue, avec 8 femmes sur les onze et conséquemment, c’est l’une d’entre elles qui a pris la place de première magistrate…
Jean-François Meekel
1 : Pierre Sansot fut l’un des parrains de la revue Ancrage quand Joël Combres la porta sur les fonds baptismaux, il y a bientôt 20 ans.