«Ceux qui ne bougent pas ne remarquent pas leurs chaînes» –
En Allemagne, la fin de la Première Guerre mondiale est rĂ©volutionnaire. Des soulèvements ouvriers ont lieu partout. La RĂ©publique est proclamĂ©e, des «conseils» d’ouvriers et de soldats se crĂ©ent pour organiser la rĂ©volution. Le SPD – Ă©quivalent du Parti Socialiste – trahit tous ses idĂ©aux et organise une rĂ©pression fĂ©roce du soulèvement. Berlin vit un moment insurrectionnel entre le 5 au 15 janvier 1919 : le soulèvement «spartakiste», du nom de l’esclave de l’Ă©poque Romaine Spartacus, qui avait dĂ©fiĂ© l’Empire. Lors de cette semaine sanglante, le gouvernement socialiste s’appuie sur des milices d’extrĂŞme droite, les «corps francs», pour organiser la rĂ©pression. Le 15 janvier 1919, Rosa Luxemburg et son conjoint Karl Liebknecht sont assassinĂ©s et jetĂ©s dans un fleuve. Cette exĂ©cution sommaire sonne la mort de la rĂ©volution et le dĂ©but du processus qui mènera au nazisme.Rosa Luxemburg fut une personne hors du commun, d’une dĂ©termination sans borne. Juive polonaise, elle subit l’antisĂ©mitisme virulent de la fin du XIXème siècle. Femme, elle fait face au sexisme, y compris dans le mouvement social. Elle allie l’intellect et la pratique : Rosa soutient une thèse d’Ă©conomie et participe aux luttes de son temps. Elle va haranguer les foules lors de grèves, elle est l’une des rares en Allemagne Ă s’opposer Ă la guerre de 14-18. Elle se mĂ©fie dès le dĂ©but de l’autoritarisme de la rĂ©volution bolchĂ©vique en Russie.Dans son dernier article, paru le 14 janvier 1919, Rosa titre «L’ordre règne Ă Berlin». Un ordre imposĂ© avec une extrĂŞme violence par ses anciens camarades du SPD. D’une certaine manière, l’assassinat de Rosa Luxemburg rappelle celui de Jean Jaurès, autre homme de gauche opposĂ© Ă la guerre, assassinĂ© par un nationaliste le 31 juillet 1914.L’Ă©crasement de la rĂ©volte Spartakiste, c’est l’effondrement d’un espoir rĂ©volutionnaire en Allemagne. Alors que des millions d’allemands ont Ă©tĂ© tuĂ©s pendant la guerre, la mort de Rosa Luxemburg et des perspectives d’un changement rĂ©el provoquent un grand vide, dont bĂ©nĂ©ficie l’extrĂŞme droite. Les «corps francs» continueront de semer la terreur. Certains rejoindront Hitler, d’autres crĂ©eront des groupes ultra-nationalistes pratiquant la lutte armĂ©e. La RĂ©publique allemande, nĂ©e du massacre de la rĂ©volution, restera fragile, instable, et s’effondrera avec la montĂ©e du nazisme. La rĂ©pression de la rĂ©volte sociale et la complicitĂ© d’un gouvernement rĂ©publicain avec l’extrĂŞme droite mènent toujours au pire. Rosa proclame d’ailleurs ces deux alternatives : «Socialisme ou barbarie». PrĂ©monitoire : ce sera la barbarie.Rosa laisse de nombreuses analyses et une vie de luttes contre l’injustice. «Avant qu’une rĂ©volution arrive, elle est perçue comme impossible ; après cela, elle est considĂ©rĂ© comme inĂ©vitable» Ă©crivait-elle ou encore : «La chose la plus rĂ©volutionnaire que l’on puisse faire est de proclamer haut et fort ce qui se passe». MĂŞme lors de ses sĂ©jours en prison, elle gardait une foi inĂ©branlable et cultivait la joie de vivre : «Dans le domaine social comme dans la vie privĂ©e, il faut tout prendre avec calme, gĂ©nĂ©rositĂ©, et un petit sourire aux lèvres». Mais aussi : «Il faut travailler et faire ce que l’on peut, et pour le reste, tout prendre avec lĂ©gèretĂ© et bonne humeur. On ne se rend pas la vie meilleure en Ă©tant amer». Toujours aussi juste, Ă©tant donnĂ© la morositĂ© du milieu militant.Le13 juin 1919, une foule immense suit, dans les rues de Berlin, la dĂ©pouille d’une femme repĂŞchĂ©e quelques jours plus tĂ´t et identifiĂ©e comme celle de Rosa Luxemburg. Le recueillement populaire se mue en manifestation de masse.